Connaissiez-vous les Algées ?
Filles d'Ether et d'Erin, elles étaient trois déesses représentant la souffrance dans la mythologie grecque : Lypes, la déesse de la douleur, Ania la déesse de la détresse et du chagrin et enfin Achus la déesse de l'angoisse.
Personnellement je l'ai appris pendant ma lecture, avec la curiosité de connaître l'origine de ce mot, apprenant du même coup l'étymologie d'antalgique, analgésique, point névralgique.
Vouer aux gémonies, je connaissais le sens de l'expression et désormais je sais aussi qu'elle vient des escaliers des Gémonies, dans la Rome impériale antique, où étaient exposés les suppliciés.
Chagrin, souffrance, supplice : Non je confirme que vous n'allez pas sourire à chaque page.
Mais en tout cas, pour un lecteur qui souhaite enrichir son vocabulaire, sa culture, les romans de
Luca Tahtieazym sont toujours très intéressants, riches, bien écrits, sans jamais être indigestes.
Après les larmes noires de
Sandrine Collette ou Julie Lester, Les larmes de rouille de
Frédéric Pontarolo ou
Les larmes bleues de
Juliette Morillot, voici donc un nouveau livre sur la PAL des lamentations avec ces larmes écarlates.
Rassurez-vous, personne ne pleure réellement de sang. Il s'agit davantage de reflets qui sont autant de métaphores.
"Je me suis mise à pleurer comme une fontaine, et chaque larmes qui ruisselait brûlait ma peau comme une coulée de lave."
Assez différent des romans de l'auteur que j'ai pu lire jusqu'à présent, même si on en reconnaît la plume et le clin d'oeil à miss fatalité,
Les larmes écarlates est un thriller dont les originalités sont autant de flèches à son arc.
Déjà, l'auteur n'a pas choisi la facilité en narrant son histoire avec la voix de Mathilde, exercice d'autant plus périlleux que cette femme a une vie singulière, venant casser les codes. Je crois que c'est la première fois que je rencontre dans le monde littéraire ou audiovisuel une femme menant une double vie, alors que les hommes qui ont deux épouses ou plus ont été légion. Mathilde a un compagnon et des enfants à La Rochelle, un mari et une petite fille à Tours, et ses longs et nombreux voyages professionnels lui permettent d'avoir toujours une excuse, un alibi, pour pouvoir vivre cette surprenante existence. La machine est parfaitement huilée pour qu'elle puisse profiter de ces deux univers sans jamais les mêler l'un à l'autre, au prix de quelques mensonges et de multiples précautions.
Paul et Cillian sont les deux hommes de sa vie, qui se complètent, qui la comblent, mais de façon dupliquée.
"J'aimais deux hommes. C'était impossible, inique, inconcevable, pervers, hypocrite, indécent, scandaleux, obscène, dissolu, interlope, fallacieux."
"Si un jour je devais faire un choix entre Cillian et lui j'en mourrais."
Et puis dans cet engrenage parfait viendra s'immiscer le magazine Femme actuelle qui a décrété dans un de ses articles que des amies étaient censées tout partager, tout se dire. Article avec lequel Mathilde est plutôt en désaccord, tenant particulièrement à son jardin secret. Et c'est ce dont il sera ici question : Jusqu'à quel point sera-t-elle prête à aller pour continuer à mener sa double vie ? Et réussira-t-elle la préserver ?
Autre originalité : La période. Sans doute pour que l'histoire soit plus crédible d'un point de vue administratif notamment, l'auteur nous emmène dans les années 1984 et 1985 pour dérouler son histoire. Pour les lecteurs de ma génération, ce sont énormément d'images nostalgiques qui sont remontées à la surface, des fragments de mon enfance et de mon adolescence qui paraissent si éloignées désormais ! Les cabines téléphoniques, le minitel, les jeux d'arcade. Les vieux modèles de voiture, les chansons, les émissions de télé de l'époque : Dessins animés, reportages, films X. le tout accompagné de quelques éléments historiques ou politiques pour crédibiliser encore davantage cette période de balbutiements informatiques.
Autre détail que j'ai beaucoup aimé : L'importance de la couleur rouge, auquel le titre fait d'ailleurs écho.
"Quand je vois du rouge, mes rotules se désagrègent. Je titube. Je perds pied."
Cette couleur pourpre, carmin, andrinople, cinabre ( quand je disais que le vocabulaire était extrêmement riche, en voilà d'autres exemples ! ) est mise en exergue d'originale façon tout au long de la lecture, jouant un rôle aussi réel que symbolique. le rouge n'est pas que celui du sang qui coule mais aussi celui de la couleur qui déstabilise, qui remet en question toute la vie que Mathilde s'est construite, qui la fait vaciller.
Enfin, il s'agit tout simplement d'un bon roman à suspense, au-delà de toutes ses autres qualités, avec son lot d'imprévus et de rebondissements inattendus. Entre autres grâce à une construction encore originale qui laisse la voix le temps de quelques pages à tous les autres protagonistes du roman : Collègue, maris, enfants, amis.
Au niveau de l'écriture, j'ai beaucoup aimé également la façon dont les chapitres s'entrelaçaient.
Ce qui m'a manqué se résume à un mot : Empathie.
Cela dit, l'auteur a déjà fait très fort en ne rendant pas d'emblée son héroïne antipathique. Je l'appréciais même, au début du roman. Mais Mathilde est très ambivalente, et si parfois on la comprend, il est difficile de toujours lui pardonner.
Aimer deux hommes sincèrement n'est pas forcément condamnable. C'est certes au-delà de ma conception des sentiments, ça engendre des mensonges en grand nombre pour sauver les apparences d'une vie telle qu'on l'a conçue, mais la sincérité de la narratrice principale ne laisse en tout cas planer aucun doute. Tant qu'elle ne fait souffrir personne en jouant les funambules...
C'est quand un de ses enfants compte le nombre de jours où il a vu sa maman le mois précédent ( quatre ) que l'égoïsme de cette femme m'a davantage sauté aux yeux. Quasiment toujours en déplacement professionnel, elle répartit le peu de jours qu'il lui reste à passer en France entre ses deux familles, et même si ce sont des moments heureux ils ne sont que des gouttes d'eau insuffisantes pour des enfants qui ont besoin de cette mère dissimulatrice.
C'est là je pense que j'ai pour ma part divorcé avec l'héroïne, et que le sort de ses proches m'a alors beaucoup plus préoccupé que le sien.
Reste donc un roman au sujet extrêmement original, à l'écriture habile et surprenante, au suspense maîtrisé.
C'est déjà beaucoup.