Ils sont rares ceux qui reconnaissent craindre la folie de l’autre, avouent fuir devant les dérèglements.
Il n’est jamais trop tard pour dire aux gens qu’on les aime.
Tu sembles ne pas savoir qui tu es. Tu n’as pas de papa. Ta maman t’aime mal, tu as la mine inquiète des enfants qui pressentent que le chemin de la vie sera pavé de pierres coupantes.
"Dans ma famille, on ne fait pas les choses à moitié .
Quand on boit , on meurt à huit grammes. "
Personne n’a écrit que tu étais partie en buvant du champagne, ta boisson favorite, la mienne aussi, celle qui fait oublier les meurtrissures de l’enfance et qui nimbe de joie les fêlures intimes des âmes trop sensibles. Tu t’en es allée au milieu des bulles et des éclats de rire, de visages aimants et de sourires pétillants. Debout, la tête haute, légèrement enivrée. Avec panache.
Le lendemain de ta mort, « Libération » affiche en une grande photo de toi te montrant poitrine nue et offerte, bestiale, objet sexuel. Une photo tirée du « Tango ». Tu aurais détesté que l'on te rende hommage ainsi. Tu en aurais pleuré, tu te serais mise dans une rage folle, toi qui as passé toute ta vie à essayer d'effacer les marques que tu pensais infâmes. Nous n'avons pas aimé non plus cette représentation de toi. Parce qu'on ne voulait pas te voir réduite à ta chair. Parce que tu étais autre chose que ce corps exhibé. Parce qu'on ne représente pas les morts ainsi. Parce que jamais un journal n'aurait choisi pour accompagner une nécrologie l'image d'un homme dévêtu. Parce que le journal qui avait décidé de le faire n'était pas n'importe quel journal. C'était le nôtre, c'était le mien. C'était celui que mes parents achetaient quotidiennement depuis son premier numéro en 1973. Celui qui nous avait initiés, nous les enfants, à la politique et à tant d'autres choses comme le combat pour les femmes. Celui qui m'avait donné envie de devenir journaliste. Celui où j'avais travaillé pendant treize ans et où l'un de mes cousins écrivait encore. Ce n'était pas de ce côté là que l'on attendait le coup.
Je me suis longtemps méfiée des acteurs. Ils me faisaient peur, avec leurs béances, leurs narcissisme à fleur de peau, les violences qu'ils s'infligent, la hantise de vieillir, les hauts et les bas des carrières, la casse inouïe d'un système où l'on vous porte aux nues et vous oublie aussi vite, la cruauté de vivre sans cesse dans le désir de l'autre, le réalisateur, le producteur, le spectateur. "Les acteurs sont des enfants perdus", m'a dit un jour mon amie Laure qui sait de quoi elle parle -elle avait déjà reçu un César lorsque nous nous sommes rencontrées au lycée à l'âge de dix-sept ans. Nicole Garcia, à qui l'on demandait un jour pourquoi elle était devenue actrice, avait répondu : "Pour un regard qui m'a manqué." Toi Maria, tu as manqué de tous les regards, de tous les égards, ceux de ton père absent, ceux de ta mère si mal aimante. Tu ne pouvais que devenir comédienne. Il y a quelques années, j'ai réalisé qu'un grand nombre de mes amis appartiennent à ce qu'on appelle "le monde du cinéma". Si je les ai choisis, c'est peut-être pour me rapprocher de toi et aussi parce que rien ne m'émeut davantage que les enfants perdus.
Là encore, tu lis sur un banc. À cette époque, les gens lisent sur des bancs. Ils n’ont pas de portables à manipuler ni d’écouteurs à ajuster.
La mémoire est fragile, parcellaire, personnelle, que chacun se souvient de ce dont il a envie, ou de ce quil’a pu retenir du temps qui s’est écoulé. J’ajoute qu’il n’y a pas de vérité unique, que le droit au récit est une liberté absolue.
Le lendemain de ta mort, Libération affiche en une une grande photo de toi te montrant poitrine nue et offerte, bestiale, objet sexuel. Une photo tirée du Tango. Tu aurais détesté que l'on te rende hommage ainsi. Tu en aurais pleuré, tu te serais mise dans une rage folle, toi qui as passé toute ta vie à essayer d'effacer les marques que tu pensais infâmes. Nous n'avons pas aimé non plus cette représentation de toi. Parce qu'on ne voulait pas te voir réduite à ta chair. Parce que tu étais autre chose que ce corps exhibé. Parce qu'on ne représente pas les morts ainsi. Parce que jamais un journal n'aurait choisi pour accompagner une nécrologie l'image d'un homme dévêtu. Parce que le journal qui avait décidé de le faire n'était pas n'importe quel journal. C'était le nôtre, c'était le mien. C'était celui que mes parents achetaient quotidiennement depuis son premier numéro en 1973. Celui qui nous avait initiés, nous les enfants, à la politique et à tant d'autres choses comme le combat pour les femmes. Celui qui m'avait donné envie de devenir journaliste. Celui où j'avais travaillé pendant treize ans et où l'un de mes cousins écrivait encore. Ce n'était pas de ce côté-là qu'on attendait le coup.