Pourquoi en 2022
Vanessa Schneider se penche-t-elle sur les années d'activisme terroriste d'Action Directe de la fin des années 70 à 80? Ce n'est pas par nostalgie puisque l'auteur est née en 1969 et n'a donc pas vécu cette époque. C'est sans doute le personnage de
Joëlle Aubron qui l'a inspirée. "c'est une femme, j'ai un intérêt pour les personnages féminins. Et puis, dans le groupe, c'est elle qui tue, ce n'est pas banal.» confie
Vanessa Schneider dans un entretien sur France Culture.
«
la fille de Deauville» , comme la surnomme la police, c'est en effet
Joëlle Aubron. Membre d'Action Directe, arrêtée avec ses compagnons, Jean-Marc Rouillan,
Nathalie Ménigon et Georges Cipriani en 1987 dans une ferme à Vitry-aux-Loges dans le Loiret., elle a passé 25 ans en prison et est morte à 46 ans d'un cancer, peu après sa sortie.
Vanessa Schneider ne dispose pas d'informations particulières sur
Joëlle Aubron. C'est un roman qu'elle a écrit, pas une biographie. Elle présente son personnage comme une jeune femme de son temps, en rupture avec les valeurs capitalistes de son milieu bourgeois. Née trop tard pour s'engager aux côtés de ses aînés soixante-huitards, elle cherche à mener son combat autrement. Il semble qu'elle soit plus aimantée par les personnalités de ses comparses d'Action Directe que réellement engagée politiquement.
Chez cette très jeune femme, il y a une énergie démultipliée par l'adrénaline qui la pousse à l'action. Il y a aussi une émulation au contact des personnalités des leaders, Jean-Marc Rouillan et
Nathalie Ménigon, et une rivalité avec cette dernière qui dope sa détermination.
Joëlle éprouve un sentiment encore dans l'air du temps, celui d'avoir été trahie par les mouvements politiques. Elle n'a rien à espérer. Comme la vague de population qui a déferlé dans les rues de Paris et des villes de province, il y a quelques semaines, c'est un écoeurement face à l'injustice qui se perpétue et grandit toujours qu'elle ressent. Dans cet état d'esprit, la violence semble parfois le dernier recours. La lecture de
la fille de Deauville a une résonnance toute particulière en cette actualité d'agitation sociale et de remise en cause des institutions.
Le personnage de Luigi Pareno, le flic, est, lui, totalement fictif. A presque 50 ans, c'est l'archétype du policier fatigué, solitaire et désabusé. Il est franchement antipathique. Calculateur, maniaque, misophone, il est incapable de vivre une relation amoureuse durablement. Chantal, sa dernière conquête en fait les frais. Ce n'est pas seulement sa fascination pour la fille aux yeux vert orangé, élégante et racée, qui fait obstacle. Pareno est le type masculin parfaitement odieux dont il vaut mieux se protéger.
Si le lecteur éprouve de l'empathie pour l'un des personnages de ce roman, ce sera pour
la fille de Deauville, toute tueuse qu'elle est.
Vanessa Schneider réussit à lui prêter des sentiments, une sensibilité et une humanité qui sonnent juste. Isolée dans sa maison à la campagne, elle éprouve des terreurs de petite fille qui donnent à voir une autre facette de la criminelle.
Vanessa Schneider apporte pas mal d'ironie à son récit. Par exemple, lorsqu'elle évoque le parcours de Nat, employée de banque, avant de se faire virer et participer plus tard à des braquages, on sourit du retournement de situation. Et encore, l'histoire de Max, le lyonnais, qui fait son apprentissage de terroriste au sein du 3ème RPIM de Bayonne est assez cocasse. Joëlle, elle-même, décrite en "bonne maman" qui confectionne ses confitures, quand on connait ses activités dans le groupuscule Action Directe, est plutôt drôle. L'amnistie présidentielle de Mitterrand prend aussi une dimension saugrenue.
Si
la fille de Deauville se lit comme un roman, c'est tout de même une immersion dans les années ponctuées par les actes criminels d'Action Directe, de Carlos et des Brigades Rouges.
Vanessa Schneider reconstitue avec soin les différents évènements qui ont marqué cette époque : l'assassinat de Georges Besse, la prise d'otages de l'OPEP, le kidnapping et l'exécution d'
Aldo Moro.
Si ces années semblent bien lointaines, il semble que le système social et politique n'aie pas changé. Les classes les plus aisées font toujours plus de profit. Les ingrédients sont là pour produire de la violence. Pourtant, les temps ne sont plus aux mouvements révolutionnaires du type Action directe. le terrorisme, aujourd'hui, est d'un autre ordre.
Vanessa Schneider ne se livre à aucune réflexion que lui permettrait son regard de femme de 2022 sur le militantisme terroriste disparu. Il témoigne pourtant de l'épuisement d'une idéologie en échec face à un système immuable.