Une prophétesse dotée de pouvoirs divins, une ville magique qui émerge du néant, des triomphes guerriers et des femmes affranchies du carcan des moeurs,
La cité de la victoire est une plongée dans une utopie valorisant l'héroïsme et le merveilleux. L'histoire nous est présentée comme étant la version revisitée et simplifiée du Jayaparajaya une ancienne épopée indienne de vingt-quatre mille vers écrite en sanskrit et découverte dans une jarre en argile.
La jeune Pampa Kampana voit sa mère s'immoler sur le bucher funéraire où se consume le corps de son père avant d'être choisie par une Déesse qui va lui conférer, en même temps qu'une jeunesse intemporelle, de significatifs pouvoirs magiques. Après une enfance compliquée auprès d'un ascète aussi religieux que pervers, elle crée à partir de simples graines Bisnaga, une cité fantastique, donnant vie par ses chuchotements à ses habitants. Elle tente au fil du temps de remplir la mission que la déesse lui a confiée, à savoir, faire des femmes les égales des hommes dans ce monde patriarcal et créer dans ce cadre un gigantesque empire multiculturel. En presque 250 ans d'existence, elle retrace son parcours au sein des civilisations qui ont occupée et se sont succédée sur la Terre, leur avènement et leur disparition, leur splendeur et leur décadence.
Dans son ouvrage,
Salman Rushdie mélange habilement à la légende, aux mythes et à l'Histoire le fictionnel, intégrant pour ce faire quelques évocations du Kâma-Sûtra ainsi que des références au Mahabharata et au Ramayana, les deux grands poèmes épiques Indiens, fondateurs de l'hindouisme.
A travers l'itinéraire d'une civilisation disparue, l'auteur démontre que toute entreprise humaine est vouée par essence à une inéluctable destruction, qu'elle soit d'ordre naturel ou provoquée par l'orgueil, l'ineptie, le ressentiment ou la barbarie. L'histoire est parfaitement maîtrisée, très documentée et s'attache à mettre en exergue le pouvoir des mots, la portée des arts face à l'obscurantisme, l'importance de la liberté d'expression et de pensée, l'égalité homme-femme et surtout, la lutte contre l'extrémisme et tous les intégrismes qu'ils soient religieux ou intellectuels. Par le biais des divers imbroglios émaillant le récit, les épisodes d'aventures héroïques et les paraboles spirituelles, l'auteur porte une réflexion sur l'avènement anthropique et la répétition cyclique des conflits civilisationnels.
L'histoire ne manque pas d'intérêt, l'écriture est plaisante et très poétique mais cependant, l'ensemble ne présente pas de véritable surprise et se réduit globalement à une succession de luttes intestines, pas toujours captivantes ni exaltantes, pour conquérir le pouvoir et imposer ses dogmes. Une récurrence qui entraîne l'impression de tourner quelque peu en rond et qui nuit d'une certaine façon à la pertinence de l'oeuvre. À travers l'itinéraire de cet empire,
Salman Rushdie construit une fresque politico-philosophique riche de réflexions profondes et engagées où, sous couvert de l'imaginaire, il dénonce l'inanité de la politique et la déraison des hommes dès qu'ils ont une once de pouvoir et qu'ils confondent gouvernance et foi religieuse.