Au Moyen-Âge, la croyance en l'existence d'une femme élue sur le trône de Pierre à donné lieu à 2 légendes, la première une brève biographie de la femme élue pape et la deuxième sur le fait qu'un pape nouvellement élu devait se soumettre à la vérification de sa masculinité
Voilà pour le postulat de départ de cet ouvrage reçu dans la cadre de la dernière masse critique, pour lequel je remercie à la fois les
Presses Universitaires de Lyon et Babelio.
Il était une fois.... (car c'est ainsi que commencent les contes et légendes)...
Il était une fois aux alentours de 850, une femme, originaire de Mayence mais d'origine anglaise, qui prit l'apparence d'un homme pour accompagner son amant, également anglais, qui, en tant qu'étudiant, était plongé dans un monde exclusivement masculin ;
Cette femme selon divers textes se serait appelée Jeanne, Anne, Agnès, Jutta et Glancia ;
Cette femme déguisée en homme, réussit à s'intégrer dans les études, au point qu'après un séjour à Athènes, elle reçut un accueil chaleureux et admiratif à Rome, ce qui lui ouvrit la voie à une carrière dans la curie, au terme de laquelle, dissimulant apparemment son sexe biologique, elle fut même élue pape.
Son pontificat dura plus de deux ans sans éveiller de soupçons, jusqu'à ce qu'il soit interrompu par un scandale : la femme, qui n'avait pas renoncé aux plaisirs de la chair, tomba enceinte et, au cours d'une procession entre Saint-Pierre du Vatican et
Saint-Jean de Latran, elle accoucha publiquement d'un enfant.
Elle mourut en couches ou, selon d'autres, démasquée, elle fut tuée.
Selon certaines versions de l'histoire, le sexe des papes serait désormais vérifié manuellement lors de la cérémonie du . de même, toutes les processions éviteraient de passer par l'endroit où le scandale s'est produit, tandis que la présence d'une statue ou d'une inscription sur le site perpétuerait le souvenir de ce regrettable incident.
De nos jours, à l'angle de la via dei Santi Quattro et de la via dei Querceti, il existe une minuscule chapelle, un oratoire avec une fresque très abîmée et une plaque su laquelle figure un épigraphe : “Il sorriso di Maria / questi luoghi allieterà / se chi passa per la via / Salve o Madre a Lei dirà“.
Beaucoup auront reconnus dans cette histoire la légende de la "papesse Jeanne", racontée dans les sources médiévales et qui a prospéré principalement jusqu'au XVIème, voire jusqu'au XIXème siècle.
Agostino Paravicini Bagliani en spécialiste incontesté et incontestable de l'histoire de la papauté au Moyen Age, ne pouvait faire l'impasse sur cette légende et y apporter toute sa connaissance et expertise.
Cette fois il nous propose une plongée au coeur des textes, une enquête aux frontières de la lexicologie, de la codicologie, de la sémantique....
Pour les textes parmi les 109 recensés, 3 sont fondateurs de cette légende
Premier texte de Jean de Mailly (1250-1254)
« A vérifier : il s'agirait d'un pape, ou plutôt d'une papesse, car c'était une femme ; se déguisant en homme, il devint, grâce à l'acuité de son talent, notaire de la curie, puis cardinal, enfin pape. Un jour qu'il montait à cheval, il engendra un enfant et, aussitôt, la justice romaine lui lia les pieds à la queue du cheval, et il fut traîné et lapidé par le peuple sur une demi-lieue et enterré là où il mourut. En cet endroit fut écrit : "Pierre, Père des Pères, révèle l'accouchement de la Papesse". Sous son règne fut instauré le jeûne des Quatre-Temps, qu'on appelle le jeûne de la Papesse. »
Second texte celui d'un franciscain d'Erfurt (1256-1261)
« Il y eut encore un autre pseudo-pape dont on ignore le nom et les années (de pontificat). C'était en effet une femme, à ce que disent les Romains, d'aspect élégant, d'une science considérable et qui simulait une conduite exemplaire. Elle se cacha sous des habits d'homme jusqu'à ce qu'elle soit élue pape. Et, au cours de son pontificat, elle conçut et, alors qu'elle était enceinte, le démon révéla le fait à tous publiquement dans un consistoire, en lançant vers le pape ce vers : "Pape, Père des Pères, révèle l'accouchement de la Papesse. »
Et enfin celui de Martin le Polonais (1277)
« Jean l'Anglais, Margantinus, siégea deux ans, cinq (ou sept) mois et quatre jours. Il mourut à Rome et la papauté resta vacante pour un mois. C'était, dit-on, une femme. Encore adolescente, elle fut conduite, vêtue en homme, à Athènes, par celui qui était son amant. Elle progressait tant dans les diverses sciences qu'on ne trouvait personne qui lui fût son pareil, à tel point qu'après, à Rome, en enseignant les arts du trivium, elle eut de grands maîtres pour disciples et auditeurs. Et puisque, en Ville, elle jouissait d'une grande réputation pour sa vie et sa science, elle fut élue pape à l'unanimité. Mais au cours de son pontificat elle fut rendue enceinte par un de ses familiers. Ignorant le moment de la délivrance et alors qu'elle/il se dirigeait vers le Latran en venant
De Saint-Pierre, saisie des douleurs de l'enfantement, accoucha entre le Colisée et l'église de Saint-Clément, puis, étant morte, comme on le raconte, elle fut ensevelie sur place. »
Puis il rassemble pour la première fois toute la tradition littéraire, et ce jusqu'en 1500, concernant la légende de la papesse, en présentant les textes en latin (ou dans les langues vernaculaires médiévales), ce qui est essentiel pour le lecteur, tout comme la vaste annotation codicologico-littéraire l'est pour l'initié.
Chaque texte est accompagné d'un commentaire, de contextualisation.
Mais surtout, il apporte un éclairage sur l'élaboration de la fable, qui commence par une rumeur, se transformant en "fait divers", le fait divers devenant exemplum, l'exemplum devenant à son tour une forme de juris prudentia...
En résumé cette fiction, dont les premières traces se trouvent vers 1250, fut prise pour une réalité durant tout le Moyen-Âge Âge. La réfutation graduelle de la légende se fit à partir du XVIème siècle.
Cet épisode, dont le souvenir demeure vivace encore de nos jours, eut un succès immense, car au-delà de son aspect romanesque, il mettait en jeu un interdit fondamental de la culture catholique: le refus du sacerdoce féminin.
Il posait également la question troublante de l'imposture : que se passe-t-il quand un pouvoir suprême et divinement sanctionné se laisse usurper ? On comprend donc que la légende ait joué un rôle puissant dans les controverses qui se sont nouées depuis le XIII siècle autour du statut de l'Église romaine et de son magistère.
Dernier point concernant les illustrations, elles permettent de voir comment la Papesse a été représentée et comment sa biographie a été l'objet de censures de la part de lecteurs d'incunables et d'éditions anciennes avant et après 1500.
Mais surtout que le premier texte comportait dans sa marge une mention loin d'être anodine : "Require" (À vérifier). Mention qu'il est possible de transposer de tous temps....
Cet ouvrage se démontre à lui seul comme un bel exemple de travail de recherches pour ceux qui s'intéressent à un pan de l'histoire de la culture médiévale aux multiples facettes...