Bien que n'étant pas "de saignée", le champagne rosé Besserat de Belfon possède un nez généreux, nonobstant une bulle fine qui ne se livre qu'avec parcimonie. C'était le vin effervescent favori du comte
Alexandre de Marenches, dispensé à l'envi lors de ses libations caserne Mortier, siège mythique de la DGSE.
Aidé par de nombreux témoignages et les carnets intimes de Marenches retrouvés,
Jean-Christophe Notin commet à l'endroit du "maître du secret" une biographie sans complaisance, éloignée de toute hagiographie ; pourtant précise et rigoureuse, travail remarquable, tant l'existence du personnage fut aventureuse et truculente.
Je puis témoigner de l'exactitude et de la véracité de certaines anecdotes relatées pour avoir, dans le cadre de mon service militaire, été affecté au "service action" du SDECE d'alors, dissimulé quelque part dans la forêt domaniale d'Orléans. Après des classes, plutôt rudes, au 13e régiment de dragons parachutistes, gonflé à bloc par moult "vous êtes les meilleurs !", je m'imaginais intégrer ensuite une espèce de futur Bureau des légendes... Las, je fus assigné aux écritures, déjà plumitif en mal d'épistoles, j'y troquais mes "troupes" contre les timbres alloués. Avec le goût du devoir j'établissais la solde de mes condisciples et ma tâche d'agent double se borna à dactylographier quelques ordres de missions aux (vrais) hommes de l'ombre, envoyer leurs feuilles de maladie au service de santé des armées (les taupes ont aussi leurs faiblesses) et une seule fois à transporter un pli dont je pense qu'il n'avait pas grand-chose de "confidentiel défense"... Bref, tel le Bartleby de Melville, I would have prefer not to...
Outre, sans trop savoir alors qui il était, avoir présenté les armes au comte de Marenches, je découvre, non sans émotion, dans l'ouvrage de Notin que le commandant du camp, celui dont le bureau jouxtait le mien, homme raffiné, d'une attention et délicatesse exquises était un héros de la guerre d'Indochine, largué de la dernière vague sur le camp retranché de Diên Biên Phu. Volontaire pour rejoindre ses camarades alors que le sort de la "cuvette" était déjà scellé, Singland y sera gravement blessé et fait prisonnier des Viets.
Ainsi donc, dans l'existence des hommes, il y aurait des cheminements glorieux et des meurtrissures aussi.
Dans la vie de seigneur de l'aristocrate
Alexandre de Marenches un drame en témoigne, celui d'Anselme, son fils unique :
"En ce 26 juin 1971, le collège est terminé et la torpeur d'un matin d'été malmenée à coups d'accélérateur. Il est 8 heures. Ayant profité de la fraîcheur, Anselme rentre d'une partie de tennis à Grasse. Depuis quelques instants, il profite des courbes amples du boulevard Schley. Tête baissée, les yeux sans doute rivés au compteur pour voir si l'aiguille pourrait s'en échapper. La croix de Saint-François est bientôt en vue ; pour arriver à la maison, il faudra ensuite prendre à droite.
En un éclair, à 8 heures 10, le silence revient, suivi de bruits de tôles froissées puis de cris affolés : Anselme a percuté un camion qui roulait en sens inverse. [...]
Anselme a-t-il jamais su que, vers ses huit ans, son père a redouté qu'il ne soit kidnappé ? Mais celui qui a le mieux prédit son sort, c'est Anselme lui-même. Parmi ses dessins réalisés un ou deux ans avant le drame, il en est un qui interroge : un accident de moto, avec pour légende : "Je suis trop jeune pour mourir." La faute à une voyante consultée avec un copain de Sorèze pour s'amuser."
Les héros (sans moi) sont fatigués.
Les espions viennent encore du froid (et d'ailleurs).
Les hommes, grandiloquents ou discrets, s'attardent peu.
Le vin de Champagne demeure, remarquable.