L'élégant docteur
Jean Baudoin s'agace de tout, en pleine crise de la cinquantaine. Son travail l'ennuie, son nouvel et jeune associé Vianney Chasseloup, si gentil, si patient, l'exaspère, et ses enfants grignotent ses nerfs. Atteint de sinistrose, il se réfugie le plus souvent dans l'ironie mordante.
"- Sainte Dolto, priez pour nous ! dit-il de ce ton mondain qui lui allait si bien. Qu'est-ce que j'ai fait au bon Dieu pour qu'il me refile une moule accrochée au canapé, une gravure de mode et une gardeuse de cochons virtuels ?
- Tu parles de tes enfants ?
- Je préfèrerais que ce soient ceux du voisin.
- Pourquoi tu dis ça ? Quelqu'un t'entendrait, il croirait que tu ne les aimes pas.
- Je les aime... Mais j'aurais quand même mieux fait de les noyer à la naissance."
Cerise, huit ans, est obsédée par ses élevages, bébé cochon, vache, poussin ninja, dragon, et quand sa cochonne se fait bouffer par un loup, c'est le drame !...
"- Oh, papa ! s'exclama Cerise. Je sais que c'est pas vrai et qu'il y a d'autres raisons de pleurer dans la vie, mais j'avais réussi à gagner deux cochons, et ils allaient faire un bébé en plus ! Mais il y a quelqu'un qui est entré chez moi et il a lâché un loup qui a mangé ma cochonne. Et mon pauvre cochon, il n'a plus de joie de vivre, maintenant..."
Paul-Louis, quinze ans, brillant élève de seconde, compte bien se dévergonder avec son copain Sixte dans les soirées branchées, les rallyes ; il lui faut donc un nouveau costume, c'est in-dis-pen-sable !...
"- Au fait, demanda
Paul-Louis à son père, tu pourras me passer ta CB demain ? (...)
- Mais on se fait jeter dans un rallye si on n'a pas de costume !
- Et une cravate, lui rappela Cerise."
Violaine, si belle, dix-sept ans et future bachelière ; en mode glandouille, se questionne sur son avenir... Et si elle laissait tomber son bac S pour faire un bac l'?
"- Quoi ? s'écria le docteur Baudoin. Mais le bac, c'est à la fin de l'année !
- Je veux faire une école de journalisme, poursuivit Violaine, sans paraître remarquer l'objection de son père. (...)
- Avec un bac S, on peut faire du journalisme scientifique...
- Oui mais non, l'interrompit Violaine de sa voix la plus molle, moi, ce que je veux, c'est faire des reportages comme d'aller filmer le cyclone en Louisiane..."
Il y a des soirs comme celui-ci, où le docteur Baudoin souhaiterait être ailleurs... mais le jour où Violaine lui rend visite à son cabinet pour lui apprendre qu'elle pourrait être enceinte, c'est pire que tout ! Être maître de ses émotions, museler le fauve qui est en lui, donner un test de grossesse, refermer la porte de son bureau et attendre.
Lorsqu'il lui posera la question, Violaine lui dira que c'est négatif...
Or, Violaine a menti à son père. Avec sa meilleure amie Adélaïde, c'est vers le Centre de planification familiale qu'elle va chercher de l'aide. Là-bas, elle aura la surprise de rencontrer Vianney Chasseloup qui tient un cabinet de consultation durant son temps libre...
Le docteur Chasseloup est le contraire du docteur Baudoin. Investi dans son travail, profondément humain, toujours à l'écoute de ses patients, il voue une admiration envers cet associé qui a eu la générosité de le prendre avec lui. Alors, il va prendre soin de Violaine et l'assister du mieux qu'il pourra dans ses démarches.
Est-ce que Violaine va garder le bébé ?
J'aime beaucoup les romans de
Marie-Aude Murail. Ils apportent toujours de belles émotions. Puis il y a cet humour aux différentes tonalités ; espiègle, radieux, grinçant, noir.
Une belle plume.
Pour faire comme ses copines, pour ne pas être en marge, un soir, Violaine dit oui à son petit ami et se retrouve enceinte. L'histoire du roman raconte sa détresse, son courage et le parcours qu'elle décide de prendre, seule. L'avortement est alors abordé avec tact, intelligence, sans affectation.
La famille, socle branlant, a aussi une belle part. le docteur Baudoin ne suscite pas une sympathie immédiate tant il est désagréable, cependant il arrive à nous attendrir. Cerise, la petite puce qui semble être obnubilée par sa ménagerie virtuelle, est consciente des états d'âme des uns et des autres. Son regard doux et innocent est un baume.
Paul-Louis dit Pilou, qu'on pense égocentrique, n'hésite pas à jouer du poing pour défendre l'honneur de sa soeur aînée. Quant à la mère, Stéphanie, capitaine qui a subi des houles et des cyclones dans sa vie de femme, continue à faire face à la tempête avec sang-froid. Dans les premières pages, l'union de cette famille ne paraît pas évidente... et pourtant, elle sera du genre "Un pour tous, tous pour un".
Cette chronique ne serait pas complète si je ne parlais pas du gentil docteur Chasseloup, à l'enfance meurtrie. J'éprouve beaucoup d'empathie pour lui. Il est un médecin comme on en trouve peu. Il répare les corps et les âmes, dévoué, généreux et sensible. Violaine qui le compare à un âne à cause de ses yeux doux, trouvera en lui un soutien loyal et sincère.
Ah... ne pas oublier de vous dire... ce roman est aussi une belle histoire d'amour... Elle aime beaucoup les ânes et son prénom. Il aime son prénom et ses yeux violets.
Une lecture à recommander ++