Mon fils, amateur de 'Bude' (collection de bilingues latin/grec, du nom de Guillaume Budé, traducteur d'oeuvres grecques en latin, 1467-1540), m'a prêté ce témoignage.
Ce faisant, il m'a suggéré de dégager des similitudes entre le grec ancien (que je découvrais avec cet ouvrage) et le russe ; d'où quelques rapprochements qui suivent entre ces deux langues, bien que ces comparaisons ne soient pas précisément l'objet de cet essai.
En effet, c'est à sa propre langue, italienne, que l'auteure se réfère le plus souvent. Ces comparaisons avec le russe ne sont cependant pas dénuées de sens, puisque le vieux-slave et le grec ancien ont une même origine indo-européenne. D'ailleurs, Cyrille et Méthode - missionnés par l'empereur de Byzance au IXe siècle pour évangéliser les peuples slaves - se sont inspirés des lettres grecques pour retranscrire phonétiquement ce qu'ils entendaient, d'où des similitudes entre les alphabets grec et cyrillique (д, к, п р, т, ф, х …).
■ Le 1er chapitre - "Quand, jamais, l'aspect" - est consacré aux verbes grecs, en particulier à leurs aspects : présent, aoriste, parfait… L'aspect d'un verbe permet notamment de distinguer l'action en cours, de celle achevée, ou de celle envisagée. Les grecs accordaient plus d'importance au "comment" qu'au "quand", à la manière dont les évènements se déroulaient qu'au moment de leur survenue ; ainsi, l'aoriste exprimait le process de l'action plus que son moment, et l'aspect d'un verbe primait sur son temps.
L'auteure lie la langue à la façon de penser de ceux qui l'utilisent ; le grec ancien est « la langue dans laquelle (le peuple grec) a exprimé pendant des dizaines de siècles, toute sa politique, toute sa culture, ses lois ; la langue dans laquelle il avait inventé la philosophie, les mathématiques, l'astronomie, et le théâtre. » (p. 61)
Elle explique que la langue ne véhicule pas seulement l'expression, elle est aussi un instrument de pensée. Elle montre l'intérêt de ne pas trop simplifier les règles d'une langue, sa simplicité risquant de s'effectuer au détriment de sa capacité à exprimer des nuances. Sur ce point, elle est plus convaincante que beaucoup d'académiciens prétentieux, réfractaires aux changements (alors qu'une langue vit, donc évolue, sans se décréter), et qui rejettent des anglicismes reflétant des influences étrangères sans les générer.
Comme la plupart des Français, j'enverrai donc toujours des 'mails' - et non de réglementaires 'courriels' - sans que cela ne modifie la manière dont la messagerie électronique s'est diffusée -, je subirai encore les excès du 'marketing', et je stationnerai mon véhicule sur des 'parkings'…
En grec ancien, l'aspect des verbes est si essentiel qu'il s'exprime par des mots généralement très différents. En russe, la plupart des verbes ont deux aspects : imperfectif (l'action qui se déroulait/se déroule/ra) et perfectifs (actions achevées, ou action unique). A l'infinitif, cette distinction s'effectue le plus souvent par ajout d'un préfixe sur la forme imperfective pour constituer sa forme perfective (boire : пить / выпить, mais avec cette dernière forme le verre est probablement vide…), même si quelques couples aspectuels ont des formes différentes (placer : класть / положить).
■ Au 2e chapitre – "Le silence du grec. Son, accents, et esprits" – l'auteure rappelle que la sonorité du grec ancien est définitivement perdue. Il est dommage que le procédé imaginé par Pierre Raufast dans 'La variante chiliienne' pour faire renaître des sons du passé ne soit qu'un rêve (un potier y lit de microsillons imprimés pendant le façonnage de vieilles poteries) ! Même les cris d'animaux s'énoncent différemment dans différentes langues. Ainsi, en anglais, un chien aboie 'arf arf' s'il est petit et fait 'bow bow' s'il est gros, tandis que tous font 'gaf gaf' en russe (p. 71).
En écrivant cette phrase, il me vient à l'esprit que parmi nos célèbres hommes politiques, Nicolas S. dit plutôt "arf arf" et J.L. M. "bow bow" ; allez savoir pourquoi !
Il n'est plus possible de reconstituer la prononciation des lettres du grec ancien, même à partie d'onomatopées ou de sons encore connus. Il est cependant établi que les voyelles grecques ont chacune une forme brève et une forme courte, comme en russe.
■ Dans "Trois genres, trois nombre" (chapitre 3) l'auteure présente le genre neutre en grec ancien (ce genre existe aussi en russe et en allemand), ainsi que le duel (nombre désignant des choses allant par deux, formant un tout). Le neutre correspond à des objets inanimés, les objets animés étant masculins ou féminins.
Le russe distingue aussi parfois les inanimés des animés, mais uniquement pour la fonction de l'accusatif (cas du COD, ou du lieu de destination) au pluriel et au masculin singulier. S'ils n'utilisent pas le genre duel comme les anciens grecs, les Russes déclinent en revanche différemment les objets désignés après les cardinaux de 2 à 4, et ceux désignés après les cardinaux de 5 et au-delà (comme s'il y avait pour eux un 'petit pluriel' et un 'grand pluriel' ; sauf que les objets désignés après 11, 21, 31, … se déclinent comme après 1, et les objets désignés après 12, 13, 14, 22, 23, 24, 32,... comme après 2, 3, et 4).
■ Au chapitre 4 - "Les cas ou une anarchie ordonnée des mots" - nous découvrons les déclinaisons des substantifs selon cinq cas : nominatif, accusatif, génitif, vocatif, et datif. En grec ancien l'ordre des mots était totalement libre : la désinence finale des substantifs permettait de comprendre leurs fonctions respectives dans la phrase. Contrairement au français (qui emploie d'autre mots pour expliquer la fonction des noms dans la phrase, comme les prépositions), d'autres langues modernes sont flexionnelles (le fléchissement de la fin de mot désigne sa fonction) : latin (6 cas : nominatif, vocatif, accusatif, génitif, datif, ablatif), allemand (4 cas : nominatif, accusatif, datif, génitif), grec moderne (4 cas : nominatif, accusatif, génitif, vocatif), russe (6 cas : nominatif, accusatif, génitif, datif, instrumental, locatif), etc.
■ "Un mode nommé désir : l'optatif" est le titre du 5ème chapitre. L'optatif permettait en effet d'exprimer des désirs (il est aussi appelé désidératif) ou les espoirs.
■ Au 6ème chapitre, l'auteure donne des conseils pour les exercices de traduction : le dictionnaire est souvent nécessaire mais le recours systématique à cet outil peut empêcher l'étudiant de développer ses capacités de déduction. La connaissance de la culture des utilisateurs de la langue est aussi primordiale. Il me semble que l'on peut transposer ces conseils à l'apprentissage d'autres langues.
■ Le 7ème et dernier chapitre - "Le grec et nous, toute une histoire" - est intéressant mais vient à mon avis trop tardivement dans l'ouvrage. Faisant le lien entre la culture grecque antique et la langue parlée de l'époque, cette partie du livre aurait en effet mieux trouvée sa place au début. Les explications relatives à la naissance du grec moderne y sont particulièrement bienvenues.
Tout au long de ce livre, l'auteure explique bien les raisons de son attachement au grec ancien, malgré des difficultés d'apprentissage mises en évidence. Même si celui-ci est destiné à tous, je suppose que ceux qui ont étudié le grec ancien y trouveront beaucoup plus d'échos et d'intérêt que les autres. Je comprends mieux l'intérêt que l'on peut trouver à l'étude du grec ancien, mais n'ai pas plus envie de m'y pencher qu'avant cette lecture…
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