Je remercie vivement
Pascal Manoukian pour son dernier roman ''
La pesée des âmes ''.
Ernest Bollard, journaliste d'une trentaine d'années, part en Syrie pour réaliser un reportage sur la fin du siège d'Alep (2016), alors que l'Est de la ville est assiégée et zone de non-droit pour les journalistes.
Dénués de tout, dans des quartiers détruits, entre les décombres, dans des immeubles menaçant de s'effondrer, pour les habitants qui résistent aux attaques des soldats de Bachar El Assad, chaque jour est un combat pour leur survie, pour accomplir les gestes d'un quotidien sombre et sanglant (se laver, se soigner, trouver de la nourriture, récupérer les morts pendant la nuit,...), risquant, nuit et jour, les bombardements, des snipers qui rodent et n'hésitent pas à tuer les civils (des enfants aux personnes âgées), à tuer ceux de leur propre pays. Peut-être que chaque jour de plus est une victoire, sous l'indifférence des occidentaux, nous qui fermons bien trop souvent les yeux, et notamment sur cette guerre civile qui a débuté en 2011 et a fait des centaines de milliers de morts.
En France, la chaine de télévision ‘'Horizon'' (pour laquelle Ernest travaille), spécialisée dans les grands reportages et le journalisme d'investigation, vient d'être rachetée par un riche industriel, Victor Bellone (dont toute ressemblance avec des personnages existants ne serait sûrement pas fortuite). A son échelle, la chaine vit un véritable chamboulement avec l'arrivée de ce nouveau dirigeant.
Pour le nouvel actionnaire, tout doit rimer avec profit. Sans scrupule, Bellone va faire entrer son personnel de toute sorte, avec la nouvelle RH en tête, pour tout restructurer : réduire les coûts au maximum, en s'allégeant de certains salariés, en se débarrassant des journalistes qui n'iraient pas dans son sens, ces journalistes ‘'rebelles'' pour qui rigueur de l'information a encore un sens et est encore dans leur ADN. Ceux qui continuent de « considérer le journalisme comme une raison de vivre plutôt qu'un mode de vie ». Ceux qui rêvent aussi de décrocher le prix
Albert Londres, décerné aux grands reporters francophones.
Ainsi, Bellone va notamment proposer la création d'une émission racoleuse, sorte de télé-réalité à vomir, image de la dérive de certaines chaines qui ne fonctionnent qu'à l'audimat et bénéfices à n'importe quel prix…
Mais, certains ne sont pas encore prêts à baisser les armes. Ils continuent de se battre, que ce soit pour leur pays ou pour l'âme de leur métier.
Ernest est de ceux-là. Il a le journalisme chevillé au corps (notamment de par son père, journaliste, mort lors d'un reportage). Même s'il a sa vie en France, avec sa mère, sa nouvelle compagne Louise ou encore Axel Bravache, directeur de rédaction d'Horizon, le jeune homme ne vit vraiment que caméra à la main. Pour être dans ces pays où la guerre fait rage, filmer les drames, les conditions des assiégés. Peut-être parce qu'il a à coeur de se trouver en plein coeur des conflits, là où on connait la valeur de la vie, là où elle est peut-être à son paroxysme, tant elle est côtoyée par la mort.
le journaliste va faire la connaissance de certains habitants d'Alep, en particulier un petit groupe de résistants, rebelles, courageux, lumineux, autour d'enfants à la jeunesse détruite, de Nazélie, une jeune femme belle, fière et déterminée et d'une vieille femme, ancienne actrice, surnommée ‘'Catherine Deneuve''. Il découvre ces enfants qui gardent le sourire, ces jeunes qui défient le régime de Bachar (El Assad est uniquement nommé par son prénom), malgré leurs armes de fortune… Et tout ce petit groupe continue de mettre de l'art, de la poésie, de la musique et des chants dans son quotidien pour ne pas sombrer plus, pour rester vivant.
La présence de ce journaliste n'est pourtant pas toujours bien accueillie, voire rejetée, lui qui représente la France et les pays occidentaux qui ont laissé tomber ces Syriens aspirant à la démocratie et la liberté, alors que El Assad est soutenu par Poutine, entre autres. Ce journaliste représente les rares reportages télévisés de quelques minutes, racontant les tragédies à travers le monde, sans que, du côté des Syriens, cela ne change rien à leur survie, sans que cela ne réveille notre conscience, provoque notre réaction ; ce jeune journaliste qui repartira bientôt pour sa vie en France, dans son confort et la sécurité…
Bien entendu, à chaque remarque acerbe contre Ernest, à chaque marque de rancoeur, c'est une claque contre nous, occidentaux, qui nous préoccupons que peu de ce qui se passe au-delà de nos frontières.
Les chapitres s'enchainent entre les évènements en Syrie et ceux en France, dans la chaine de télévision Horizon. Cynisme des individus en haut de la pyramide, où gagner de l'argent est le seul leitmotiv, la seule raison d'être, faisant fi de tout principe éthique ou moral, où l'argent et le pouvoir dissolvent les valeurs, l'humanité.
Et que penser du nom de la chaîne « Horizon » choisit par l'auteur ? Métaphore bien entendu face à l'horizon qui s'assombrit d'une frontière à une autre. Tout comme le titre du roman «
La pesée des âmes » lui-même symbolique lorsque, lors du jugement dernier, l'archange Saint Michel soupèsera sur la balance nos actions, entre le mal et le bien, pèsera nos âmes et notre coeur.
de nombreuses scènes m'ont fortement marquée : que ce soit l'arrivée d'Ernest en Syrie, la description du Bachar Land (Alep Ouest) mais aussi et surtout par les différents personnages syriens. Incroyables, profonds, émouvants. Certains amers et en colère, et pourtant, qui restent encore debout.
J'ai découvert il y a quelques années
Pascal Manoukian en tant qu'écrivain avec le roman «
Ce que tient ta main droite t'appartient », roman qui m'avait chamboulée. le récit avait également pour thème la Syrie (mais présenté sous un autre angle, celui de l'embrigadement et de Daech).
Dans son dernier roman, l'ancien grand reporter de guerre (ayant couvert de grands conflits au Liban, Yougoslavie, Irak, …) et ancien directeur général de l'agence CAPA, se révèle encore une fois un écrivain journaliste et humaniste. Encore une fois un formidable reporter et écrivain.
Roman après roman, nourrit par ses années d'expérience, sa connaissance du terrain et des enjeux géopolitiques et sociétaux, l'auteur nous raconte avec justesse des sujets de société (conflits, exils, pauvreté, écologie…). Que ce soit à un niveau macro ou micro, il nous décrypte le monde, le dissèque, nous explique patiemment, détaillant par le biais de diverses situations, différents angles et protagonistes, les maux du monde, l'antagonisme des êtres, la complexité humaine, les dérives de certains (et d'une manière générale de la société), la complicité muette et l'indifférence de beaucoup et, heureusement, le coeur d'autres.
«
La pesée des âmes » est un roman important, nécessaire. Sombre et réaliste, il résonne avec l'actualité. Il nous fait rouvrir les yeux, regarder au-delà de nos frontières, sur l'horreur que subissent certaines populations, d'un continent à un autre, sur le quotidien courageux de ces hommes et ces femmes qui ont lutté et luttent pour leur survie et leur liberté…
En parlant de l'histoire de leur pays mais également d'eux, de leur espoir, leur culture, leur histoire de vie, l'auteur nous montre des visages, il nous présente des hommes et des femmes, et c'est ce qu'il nous faut pour réveiller notre coeur et notre conscience…
Un roman qui nous secoue, nous remue les tripes et nous fait peser notre propre âme.
Un grand merci une nouvelle fois, Monsieur Manoukian.