Encore une fois,
Corinne Maier percute les murs de nos croyances et de nos biais, renverse la table du patriarcat, et brandit le poing pour nous embarquer dans une lutte totalement contraire à la bonne morale. Radicale, elle nous enjoint à l'égoïsme. Un égoïsme au féminin, pendant de l'égoïsme masculin dissimulé par la mauvaise foi, la mollesse trop vite excusée de ces messieurs qui se déclarent incompétents aux tâches ménagères, au soin apporté aux enfants et aux personnes agées. Si les hommes ne se sacrifient que lorsqu'ils y trouvent largement leur compte, alors les femmes doivent carrément cesser de se sacrifier tout court (puisqu'elles n'y trouvent jamais leur compte).
C'est vraiment très radical. Parfois trop, pourrait-on penser, et pourtant, j'ai l'impression que plus on tourne le curseur vers son extrémité, plus il en ressort une envie d'avancer au moins un peu dans cette direction.
J'ai lu ce livre la semaine dernière, et quelques jours après, un "cas pratique" s'est présenté à moi. Une amie m'a confié s'être disputée avec sa soeur. Cette dernière avait été un peu rude avec leur père, qui refuse de quitter sa maison (90 ans, veuf depuis 4 ans alors que c'est madame qui gérait tout ; "quelqu'un apporte le repas le midi, il se coupe une tomate le soir ou mange un petit quelque chose" ; j'ai supposé que le ménage est fait par une tierce personne également). Il avait la chance d'être accepté dans une zone d'habitation pour personnes âgées : une maison individuelle, possibilité de se restaurer de façon commune le midi, d'avoir des activités, et évidemment le point clé, on vérifie régulièrement si tout va bien. Mais il a estimé qu'il n'était pas suffisamment libre. La soeur de mon amie a alors asséné : d'accord, mais si un jour il y a un problème, tu finiras dans un Epahd. Et mon amie a trouvé que c'était vraiment violent de dire ça à leur vieux père, que si elle est épuisée, elle ferait mieux de quitter son mari (violences conjugales) et de mettre les points sur les i avec ses trois fils qui, bien qu'adultes et ayant fait de longues études, végètent encore sous leur toit (avec elle qui fait tout, bien sûr, alors qu'elle travaille).
Le manifeste de
Corinne Maier m'a tout à coup semblé beaucoup moins radical. J'ai demandé à mon amie pourquoi, selon elle, elle supportait mieux l'égoïsme de son père que celui de sa soeur, pourquoi elle ne trouvait pas son refus à lui violent, et elle a un peu écarquillé les yeux.
Je ne vais pas développer sur cette histoire familiale, mais j'encourage tout le monde à lire les livres de
Corinne Maier, voilà des ouvrages qui ne laissent pas indifférents.
L'étoile en moins, c'est parce que j'ai trouvé que les femmes étaient davantage confrontées les unes aux autres, au final, qu'aux hommes. Les mères entre elles, les filles avec leurs mères, par exemple. Selon moi, l'idée d'un égoïsme au féminin est un moyen d'ouvrir les yeux sur nos biais concernant l'égoïsme au masculin : on trouve certains comportement normaux ou "habituels, typiques" quand ils sont réalisés par des hommes, en soupirant "ah, les hommes", mais on n'attribue pas systématiquement ces comportements à leur égoïsme. Par conséquent, appuyer un peu fort sur certains comportements des autres mères et de la notre, de mère, sans insister sur le fait que ces comportements sont dus au contexte sexiste, aux injonctions, et sans pointer vraiment vers ce que les hommes font dans pareil contexte, c'est à mon avis le petit défaut récurrent de cet essai.
Je recommande également l'excellent No Kid, 40 raisons de ne pas avoir d'enfant (même si vous en avez déjà et que vous les aimez et tout et tout ^^) de la même autrice. Là aussi elle pousse le curseur et ça nous incite à ouvrir les yeux et à placer le curseur là où on veut vraiment.