Un livre qui vaut vraiment le coup, bien documenté mais particulièrement distrayant, nous attachant inexorablement à ce
Balzac de panache et de fougue. L'auteur rechigne à finir son livre, elle veut rester encore un peu avec Honoré ! Et bien nous aussi.
Elle s'imagine discutant le bout de gras avec lui , affalé dans un fauteuil crapaud couinant sous son poids généreux et partageant quelques boutades bien senties sur la petite bourgeoisie éternelle.
Il s'agit bien d'un livre sur Honoré , plus que sur
Balzac-écrivain ; pas de prétention à l'exégèse, pas de biographie exhaustive non plus, mais un ton familier et drôle pour parler d'un personnage qui passa toute sa vie la tête plongée dans des soucis triviaux, comme vouzémoi .
Il courra après l'argent toute sa vie, enchaînant avec une constance remarquable plans foireux (culture d'ananas et mines d'argent !) et faillites fracassantes, poursuivi de près par la tête chercheuse d'une scoumoune surnaturelle qui ne le lâchera jamais, tout comme la horde de ses créanciers sur les dents.
L'argent il adore ça , ça l'attire énormément, tout comme la célébrité le fait rêver. Il semble que ses fiascos à répétition n'aient pas anéanti sa bonhomie constitutive et son optimisme increvable . Et elles auront eu le mérite de le contraindre à écrire au kilomètre, une de ses qualités étant son énorme capacité d'écriture, heureusement d'ailleurs car bien souvent il avait déjà dépensé l'argent des livres qu'il n'avait pas encore écrits.
Il adore également d'autres formes du superficiel, fringues, tapis, bibelots, meubles, un véritable décorateur d' intérieur doté de plus de talent dans ce domaine que dans celui de la finance où il était une bille complète.
Rondouillard comme une bille justement, il l'était aussi, teint rosé, dentition fantaisiste, Honoré n'a pas un physique facile . Mais, foin du cliché du grand écrivain ascétique et lointain plein de componction, il suscite la sympathie par l'effet petit-gros-jovial. On était frappé aussi apparemment par l'éclat de ses yeux où pulsait une véritable chaleur tournante.
Il captivait par ce regard, séduisait même.
Il sera aimé, son souhait le plus ardent, quoi d'autre ?
Par des
Victor Hugo ou
Théophile Gautier, reconnaissant son talent et sa finesse d'analyse des jeux sociaux. Par des femmes surtout (riches... !), aiguillonnées par son insolente passion de vivre.
Décrivant sans concessions la réalité peu reluisante que vivent les femmes de son époque, réduites à de pâles moitiés, il émet des voeux clairs pour une nouvelle place pour elles, reprenant la main sur leur vie sociale et amoureuse.
A moins que ce ne soit une ruse attrape-mouche supplémentaire ? Et si l'écriture n'était elle même qu'un faire-valoir pour ses ambitions ? Peu importe, une oeuvre est née de cette énergie exubérante et insubmersible et il aura livré un portrait acide et lucide de la société de son époque.
Cupide et dépensier compulsif,
Balzac cultive également une mauvaise foi fascinante . Notamment à l'égard de sa mère qui se dévouera et se ruinera pour son fils avec une phénoménale ingratitude en retour.
Oui, Honoré fut parfois détestable; mais ce que
Titiou Lecoq a tant apprécié chez lui, c'est sa ténacité à poursuivre ses envies, quitte à les vivre sous sa plume, il lui faut de la démesure , du désir, et on peut constater que jamais il ne plia échine devant la réalité et ses fâcheuses contrariétés. le contraire d'une vie au petit-pied, mesurée et frileuse, échappant au poste de clerc de notaire qu'on lui destinait.
Titiou Lecoq finit sur un magnifique post-scriptum irradiant de sincérité, où elle nous livre au débotté ses conclusions provisoires sur la vie, elles sont décapantes et font mouche. C'est sa fraternité avec Honoré : il lui faut du sens à elle aussi, impérativement, et elle nous convie à faire passer à la question nos choix d' existence pour voir ce qu'ils ont dans le ventre.
Beaucoup de plaisir à lire, une réussite !