« La compagnie le Chat Perplexe » est un collectif d'artistes qui a vu le jour en 2000 à Aubusson dans la Creuse. Sa vocation est la création de spectacles diffusés à travers toute la France. Mais le Chat Perplexe développe également des projets en lien avec le territoire plaçant la rencontre et l'humain au coeur de sa démarche artistique.
Cet ouvrage est une des réalisations d'un projet multiforme intitulé « Éclats de pierres, éclats de vies », qui a donné le jour à un spectacle « le Bal des Casse-Cailloux », une exposition sonore et photographique « le Fil de la Pierre » et un Sentier des Tailleurs de Pierre au départ de Sardent en cours de création… »
« S'émerveiller, c'est résister. »
Pourquoi ai-je choisi ce livre lors des Masses Critiques de Babelio ? …
Alors que je parcourais la liste des titres proposés, un peu fébrile dans les nombreux choix, mon coeur a bondi à « Italiens tailleurs de pierre en Creuse ». Une veille photo en couverture évoquait déjà pour moi une histoire. Pas une de celles qui sont racontées dans ce beau livre, non… mon histoire, mes racines.
En 1920, mon arrière-grand-père Giuseppe Begani a quitté un jour la commune de Palanzano de la province de Parme en Italie, pour aller à Calenzana en Corse, rejoindre quelques cousins. Il devait avoir une quarantaine d'années. Veuf, sa femme avait succombé à la grippe espagnole, il était seul à élever ses cinq enfants ; Luigi, Anghu, Pino, Genia (ma grand-mère) et Nita.
Tailleur de pierre, il a participé avec ses trois fils, à faire des routes, des ponts, des villages et des clochers. Ils ont laissé leurs empreintes et leurs souvenirs restent encore dans la mémoire de certaines personnes. Petite, j'étais si fière lorsque j'entendais parler de lui ! On disait qu'il était d'un grand courage, qu'il avait transmis à ses enfants des valeurs de respect et de travail… La cousine Angèle me confiait « Ça filait droit, avec le grand-père Joseph ! et ses enfants l'écoutaient ! ».
J'ai bien connu ma grand-mère Genia que j'ai beaucoup aimée. Mais femme discrète, d'une autre génération, elle ne m'a jamais parlé de son père. J'imagine que tout ce que j'admirais en elle, sa droiture, sa bonté, sa générosité, c'était lui, aussi.
Dans l'introduction du livre,
Thierry Gaillard, maire de Sardent, évoque ces migrants venus du nord de l'Italie qui se sont installés à Sardent. Ils ont modelé la Creuse dit-il. C'était « les faiseurs de bordures de trottoir ». Je retrouve des mots qui symbolisent ma famille… solidarité, fraternité, courage, valeurs, humanité, et je suis sûre que cette lecture, je ne la ferai pas seule car je me sens déjà en compagnie des miens…
Ça ne parle pas de ma Balagne, mais des Italiens qui ont quitté leur pays pour s'installer dans le Limousin. C'était dans les années 20, pour la plupart, ils ont fui à cause de la montée du fascisme. Sur leur passeport la mention « Tendenza politica anarchica » signait un arrêt de mort, et sans carte du parti, ils ne pouvaient pas travailler. Les hommes, des tailleurs, des cogneurs de pierre et d'autres qui ne l'étaient pas, se sont réfugiés en France et ont trouvé de l'ouvrage dans les carrières et les chantiers. L'accueil ne fut pas toujours à bras ouverts car les « macaronis » parlaient une autre langue et prenaient la place des Français (rengaine connue). Mais leur courage et leur ardeur ne pouvaient que forcer l'admiration, et les portes closes se sont ouvertes…
Pour la plus part, ils venaient du nord de l'Italie, communes du Frioul et de la Vénétie.
Entre les pages, il y a l'écho des coups des masses et des coups des mines, il y a les petites histoires qui sont restées dans les annales, il y a la mémoire qui se transmet aux descendants, des photos, des anecdotes émouvantes, il y a Ettore, Marius, Angelo, Giovanni Batista…, les carrières du Maupuy près de Guéret, le chantier au Bois Chameau…, les accidents, le granit qui s'incruste dans la peau par des éclats, par des poussières, la silicose…, la musique, les bals, les chants qui cadencent le travail…, il y a… le mal du pays, cruel, que l'on tait… Dans « les petites histoires », on évoque aussi les marmites de pâtes, leur amidon qui serait bon pour les blessures, la sieste, le temps pluvieux en plein été, l'amour…
Amelia del Din, la seule femme qui témoigne, dit :
« J'adore danser mais la valse commence à me tirer la langue ! J'étais gaie quand j'étais jeune, et puis la vie nous gifle un peu trop fort, on change, hein, c'est vrai ? »
Ainsi débute la deuxième partie du livre intitulée « Portraits ». le photographe
Ernesto Timor a pris le portrait des fils, les derniers cogneurs.
Pasquale Marchio et Marius Paties avaient à peine douze ans quand ils ont accompagné leurs pères pour apprendre le métier. Impliqués, ils l'étaient aussi dans la Résistance durant la guerre. le fascisme ne passera pas en France !
Troisième génération, Roland Bravin, fils d'Augusto, Daniel Delprato, fils de Stefano, et Robert Marchio, fils de Pasquale, ont vu le déclin de l'exploitation du granit, dans les années 60. le temps des tailleurs de pierre est fini et il faut se recycler. Quel plus bel hommage à leurs parents que de continuer autrement le métier ! C'est à l'École des Métiers du Bâtiment de Felletin qu'ils se perfectionnent. Daniel travaille pour les monuments historiques et Robert se spécialise dans la gravure, devenant Meilleur Ouvrier de France… Aujourd'hui, ils sont tous les deux professeurs de taille de pierre.
Les archives de la troisième partie sont celles des carrières du Maupuy. Les Italiens arrivaient d'abord en ces lieux mais n'y restaient pas toujours, car ils préféraient « partir dans les campagnes à la recherche des boules roulantes », plus au sud. Les « boules roulantes » sont des boules de granit dont les moitiés vont rouler à l'explosion de la mine. le travail était dur et la paye n'était pas en rapport. Seuls les hommes forts et aguerris parvenaient à effectuer la tâche. Sur les vieilles photos, le décor paraît immense, les hommes si petits !
Les témoignages de Marius Paties racontent aussi les chantiers au Bois Chameau, ceux à Château-Merle, et ceux au Bois du Clou… chaque famille avait son coin. Il met aussi à la disposition des auteurs, d'autres photos où son père et son oncle posent en compagnie d'autres tailleurs. Ils sont plus d'une dizaine, la chemise blanche, les manches retroussées sur des bras massifs, le regard pétillant, fier et un peu narquois. Ils ressemblent à des maquisards. Sur une autre photo, ils sont les bras croisés, assez impératifs. Puis sur une autre, ils ont la masse au poing, aussi beaux qu'un Marlon Brando ! Les photos se succèdent… des hommes et des roches…
Leur vie n'était pas que labeur ! il y avait aussi l'amour et les joies des bals. Banjo, mandoline, accordéon. Les photos sont belles avec ces familles qui s'agrandissent, ces unions qui réunissent deux cultures, deux pays.
Fais demi-tour… est une de ces « petites histoires » que je tiens à retenir. J'imagine le ravage que peut ressentir un homme qui a quitté son pays pour des raisons politiques.
« Fano Delprato n'est jamais retourné en Italie. Un jour, son fils Joël a réussi à décider son père de faire le voyage ensemble : les voilà partis en voiture. A l'approche de la frontière, il sent son père se crisper ; puis ça y est, ils sont en Italie. Moins de cinquante kilomètres après, Fano dit à son fils : « S'il te plaît, fais demi-tour… »
Joël a bien senti que ce n'était pas la peine d'insister, impossible de retourner là-bas. Ils sont revenus à Pontarion ; ils n'ont plus jamais reparlé de l'Italie. »
Ce très beau livre se suit avec un CD audio de « paroles collectées » par la
Compagnie le Chat Perplexe. La voix du Duce est un prélude aux témoignages des derniers cogneurs. Ainsi tout a commencé, ils ont fui le fascisme et sont venus en exil en France pour faire un travail de bagnard. La musique s'infiltre dans la mémoire, les noms défilent. On nous invite à leur table et on les écoute… respectueusement, captivés, charmés. « Chacun avait sa zone… et que des Italiens… Rien que sur Sardent, cent Italiens !… Voilà tout ce qui c'est passé dans notre vie… Ils travaillaient toute la semaine et le dimanche, ils se lavaient et allaient au bal jusqu'à 5 heures du matin. Les filles aimaient danser… Ils ont fait des bagarres, beaucoup, toujours pour des filles… Les Italiens venaient nous inviter. On ne pouvait pas les refuser, ils dansaient tellement bien ! ». L'accent encore intact, la musicalité de la langue, douce et pleine de vie, et des souvenirs, des souvenirs, des émotions qui étreignent le coeur.
Ce livre, ces paroles, sont à partager car c'est notre Histoire. le CD audio se termine et je ne peux m'empêcher d'applaudir… Merci pour ce très beau livre.
Bella ciao
Una mattina mi son svegliata
O bella ciao, o bella ciao, o bella ciao ciao ciao
Una mattina mi son svegliata
Eo ho trovato l'invasor
O partigiano porta mi via
O bella ciao, o bella ciao, o bella ciao ciao ciao
O partigiano porta mi via
Che mi sento di morir
E se io muoio da partigiano
O bella ciao, o bella ciao, o bella ciao ciao ciao
E se io muoio da partigiano
Tu mi devi seppellir
Mi seppellirai lassu in montagna
O bella ciao, o bella ciao, o bella ciao ciao ciao
Mi seppellirai lassu in montagna
Sotto l'ombra di un bel fior
Cosi le genti che passeranno
O bella ciao, o bella ciao, o bella ciao ciao ciao
Cosi le genti che passeranno
Mi diranno che bel fior
E questo é il fiore del partigiano
O bella ciao, o bella ciao, o bella ciao ciao ciao
E questo é il fiore del partigiano
Morto per la libertà