Je ne m'attendais pas à tomber ainsi sous le charme de ce conte, à croire qu'un troll m'a jeté un sort...
Dans cette jolie histoire de violoniste fou de terreur et d'une pauvre orpheline, tous deux sauveurs et sauvés par l'amour (un duo qui je ne sais pourquoi m'a rappelé la délicieuse folie de The Fisher King), J'ai été envoûtée par la mélancolie subtile dans laquelle baigne le récit, par l'atmosphère de merveilleux, sombre ou lumineux, qui se dégage de la nature que traverse ces deux héros universels qui transcendent la peur par l'amour.
Me resteront de ce beau moment de lecture quelques images d'une grande puissance, créées par la plume incandescente et poétique d'une grande auteure, tantôt d'une rare violence comme la vision de la jeune Ingrid dans son cercueil, tantôt bouleversantes de joie comme ce vieux couple de saltimbanques qui s'enlace pour danser encore, ou encore d'une délicatesse étrange à travers un visage souriant apparaissant comme un ange aux côtés de la jeune fille.
Magnifique moment passé dans ce monde enchanté.
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Ingrid et la mère Anna Stina marchaient dans les bois sombres. Elles marchaient depuis quatre jours et avaient dormi trois nuits dans des bergeries. Ingrid était épuisée, son visage était d’une pâleur transparente, ses yeux creux brillaient de fièvre. La mère Anna Stina jetait de temps à autre à la dérobée un regard inquiet sur elle et priait Dieu qu’Il maintienne les forces de la jeune fille, afin qu’elle n’aille pas s’affaisser sur une touffe de mousse avec l’idée d’y mourir. Régulièrement aussi, la vieille ne pouvait s’empêcher de regarder derrière elle d’un œil farouche. Car elle avait la désagréable sensation que la Faucheuse les suivait dans la forêt pour reprendre celle que les paroles du pasteur et les pelletées de terre lui avaient offerte.
La mère Anna Stina était petite et trapue, avec un grand visage carré si plein de sagesse qu’il en devenait beau. Elle n’était pas superstitieuse, elle habitait seule sans craindre ni les trolls ni les mauvais génies des bois mais, marchant là à côté d’Ingrid, elle sentait, aussi nettement que si on le lui avait dit, qu’elle côtoyait quelqu’un qui n’appartenait pas à ce monde. Et cela elle l’avait perçu dès qu’elle avait découvert Ingrid chez elle le lundi matin.
Si elle n’avait pas regagné sa maison le dimanche soir, c’était qu’au presbytère la maîtresse de maison était tombée gravement malade, et mère Anna Stina savait si bien s’occuper des malades qu’elle était restée pour la veiller. Toute la nuit, elle avait entendu l’épouse du suffragant répéter dans son délire qu’elle avait vu Ingrid revenir. La vieille, cependant, n’en avait pas cru un mot.
Et, quand enfin elle était rentrée chez elle et y avait découvert la jeune fille, la vieille voulut sans tarder retourner au presbytère pour leur dire que ce n’était pas un fantôme qu’elles avaient vu. Pourtant, quand elle avait informé Ingrid de son projet, cette dernière s’était montrée si affolée que la mère Anna Stina n’avait pas osé mettre son projet à exécution. La vie avait presque quitté la jeune fille, comme la flamme d’une bougie prête à s’éteindre dans un fort courant d’air. Elle aurait pu mourir aussi facilement que cela arrive à certains oiseaux en cage. La mort était sur les traces de cette fille, et il fallait veiller sur elle avec énormément de douceur pour qu’elle reste en vie.
Le cirque les avait rejetés, racontait Blomgren, mais pas l'art. Ils servaient toujours l'art, et celui-ci valait qu'on lui reste fidèle jusqu'à la mort. Toujours, toujours des artistes!
Pourquoi ne vient-il jamais pour de vrai ? Dit-elle à mi- voix. Pourquoi ne vient-il que dans mes rêves ?
Elle n'osait pas bouger. Un geste,et la sensation de cet amour disparaîtrait. Comme si un oiseau craintif s'était posé sur son épaule,et qu'elle craignait de l'effrayer.
Un mouvement de trop,et l'oiseau s'envolerait, laissant le chagrin la dominer.
"Rien n'est plus sûr et certain que le fait que le soleil adore les esplanades dégagées qui s'étendent devant les petites églises de campagne. Y en aurait-il qui n'auraient pas remarqué qu'on ne voit jamais autant de soleil que durant l'office du dimanche devant une petite église toute blanche? Nulle part les rayons ne tissent un réseau aussi dense de lumière, nulle part l'air ne demeure dans une telle immobilité emprunte de respect. C'est comme si le soleil était là pour veiller à ce que les gens ne restent pas sur le parvis à discuter. Il tient à ce que tous soient docilement assis dans l'église pour écouter le sermon, et c'est pour cette raison qu'il inonde à profusion de ses rayons les murs de l'église." (Babel - p.37)
Le jour de Pentecôte, Ingrid était à l'église, en compagnie de sa mère adoptive. Un tel jour de fête, elles avaient le droit de prendre la voiture. Autrefois, Ingrid avait adoré arriver au grand galop devant l'église, tandis que ceux qui se tenaient le long du muret de pierre et au bord de la route ôtaient leur chapeau pour saluer, et que ceux qui marchaient sur la route s'écartaient à grands pas comme fascinés. Mais désormais, plus rien ne la réjouissait. "La nostalgie retire à la rose son parfum et à la lune son éclat", dit le dicton.
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Les Jeux olympiques de littérature
Louis Chevaillier
Éditions Grasset
« Certains d'entre vous apprendrez que dans les années 1912 à 1948, il y avait aux Jeux olympiques des épreuves d'art et de littérature. C'était Pierre de Coubertin qui tenait beaucoup à ces épreuves et on y avait comme jury, à l'époque, des gens comme Paul Claudel, Jean Giraudoux, Paul Valéry et Edith Wharton. Il y avait aussi des prix Nobel, Selma Lagerlof, Maeterlinck (...). C'était ça à l'époque. C'était ça les années 20. Et c'est raconté dans ce livre qui est vraiment érudit, brillant et un vrai plaisir de lecture que je vous recommande. »
Marie-Joseph, libraire à La Procure de Paris
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