À la fin du premier tome, Fitz n'était presque plus humain. Torturé par Royal, il a trouvé refuge dans l'esprit d'Oeil-de-Nuit, s'est fait passer pour mort avant qu'Umbre et Burrich ne récupèrent son corps. Plus animal qu'humain, Burrich s'efforce de lui réapprendre les règles de vie en société.
Mais il n'est pas coopératif, et de lassitude, ses maîtres lui rendent sa liberté. Chacun d'eux a désormais des obligations qui les détournent de leur ancien élève – et qui découlent de ses mauvais choix : l'un doit sauver le royaume au bord de l'extinction, l'autre doit aider la femme et l'enfant qu'il a laissés derrière lui.
Livré à lui-même pour la première fois de sa vie, que choisit de faire Fitz ?
Tuer Royal.
Pour moi, la lecture de ce livre est divisée en trois : une première partie intéressante, où on découvre la tout nouvelle situation de Fitz et où il tente d'assassiner l'imposteur ; un deuxième partie un peu ennuyeuse où il part à la recherche de Vérité et traverse les Six-Duchés ; et une troisième partie absorbante où il parvient au royaume des Montagnes, retrouve le fou et Kettricken, et forme une équipe de choc pour aller chercher le véritable roi.
J'ai pris tellement de plaisir à les retrouver la reine et le fou que je viens juste de me rendre compte à quel point ils étaient importants pour moi et à quel point ils enrichissaient le récit – surtout le fou. Ses répliques cinglantes sont des reliques.
Durant cette dernière partie, on en apprend également plus sur l'Art, sur ses possibilités (construire des objets parfaits, comme la Route d'Art, et absolument dangereux. Ils stimulent l'Art chez les pratiquants, menaçant sans cesse l'esprit de Fitz – mais on n'imaginait pas à l'époque qu'on puisse mal former les apprentis ou les laisser arpenter la Route) et ses limites (l'écorce elfique, qui le bride, agit comme une drogue et rend maussade – ce qui explique pourquoi le talent de Fitz est si fluctuant et pourquoi il ne peut se passer de cette mixture pourtant si amère). On en apprend en réalité beaucoup sur les légendes des Six-Duchés : le mythe des Anciens, du roi Sagesse, la réalité sur les membres du Lignage (c'est-à-dire, ceux qui ont le Vif). Entre la légende et la réalité, il y a un gouffre.
Je suis impressionnée par l'imagination de l'auteure. Tout se recoupe : la raison pour laquelle les Pirates rouges attaquent les côtes des Six-Duchés, la méthode employée, les Anciens… Tout est lié à cette pierre qui conserve les souvenirs.
Je suis heureuse de cette lecture, mais je pense que le récit aurait gagné à être raccourci par le milieu. Malgré son désir de vengeance et son besoin viscéral de retrouver Molly, Fitz a reçu une accidentelle injonction d'Art de Vérité : « Rejoins-moi ». Dès lors, il est contraint de tout mettre en oeuvre pour le retrouver. Impossible de tuer Royal ou d'aller rejoindre sa famille : ses pas l'entraine malgré lui vers le royaume des Montagnes. On sait qu'il arrivera au bout de sa quête – c'est le héros. Alors pourquoi faire en sorte que ça dure aussi longtemps ? Ce moment était très répétitif puisqu'il dure trois cents pages et que Fitz ne fait que voyager, rencontrer des embuches et ruminer sa malchance.
J'ai cependant adoré les nouveaux personnages qui se joignaient au héros : Caudron est une vieille femme acariâtre qui veut absolument retrouver le Prophète blanc (devinez qui c'est). Elle a énormément de connaissances, en particulier sur l'Art, et soutient que c'étaient des choses que tout enfant apprenait quand elle était petite. Elle finit par avouer qu'elle est née il y a à peu près deux cents ans et qu'elle faisait partie d'un clan d'artiseurs. Mais elle a accidentellement tué sa soeur – également membre du clan – pour l'amour d'un homme (chef dudit clan). le groupe, meurtri, a brûlé son Art avant de se dissoudre, terrassé par les épreuves.
Astérie est une ménestrelle en mal de reconnaissance. Très belle, elle a l'habitude que les hommes lui tournent autour et qu'on la félicite pour son talent musicien. Un peu agaçante, elle tourne beaucoup autour de Fitz, qui ne pense qu'à Molly, puis autour du fou, dont elle sent qu'elle ne l'intéresse pas. Son passé douloureux la hante, car elle vivait dans un château côtier que les Pirates ont saccagé et où ils l'ont laissée pour morte après l'avoir violée. Elle est débrouillarde et attachante.
Ceux qu'on connaît déjà s'étoffent
En particulier Oeil-de-Nuit. le temps passé avec Fitz le rend presque aussi intelligent qu'un humain, mais il a soif de vivre avec des membres de son espèce. Il abandonne Fitz pour un temps afin d'assouvir cette pulsion, mais cet épisode restera sans suite pour lui. Il a déjà été trop transformé par le Vif pour pouvoir appartenir à une meute de loups. C'est une nouvelle cause de culpabilité pour son frère, qui s'en veut d'avoir changé cet animal sauvage en être civilisé. J'ai été bluffée quand je l'ai vu résoudre spontanément l'énigme que Caudron destinait à Fitz, énigme ayant pour but d'occuper son esprit pour qu'il ne dérive pas dans l'Art. Leurs conversations sont également plus métaphysiques, Oeil-de-Nuit comprend désormais l'idée de passé, présent et futur.
Kettricken est désormais à mille lieues de la jeune fille hésitante que Fitz a rencontré dans le premier tome. À l'instar de Daenerys Targaryen, elle a pris en assurance en prenant en pouvoir. Très attachée au sens du devoir, elle est prête à énormément de sacrifices pour son peuple, mais surtout pour son roi. Rongée par la honte d'avoir perdu l'enfant qu'elle portait, elle met une énergie folle à retrouver Vérité, à la fois pour quêter son pardon, pour qu'il l'aide à redresser le royaume, mais aussi par manque d'amour. La déception des retrouvailles l'achèvera presque, puisque Vérité est, lui, à mille lieux de comprendre les femmes. Il fait énormément de mal à la sienne sans même en avoir conscience et j'ai été furieuse contre lui. Chacune de ses attitudes est une épingle plantée dans la plante de pied de Kettricken : son obsession du dragon, son désintérêt de l'équipe de sauvetage, son manque de réaction à l'annonce de la mort de leur premier-né. Il est comme une coquille vide.
Et ce n'est pas peu dire. Vérité n'est plus que l'ombre de celui qu'il était. Amaigri, affaibli, rongé par l'Art, son corps ne tient plus debout que grâce à sa volonté. Son but : créer un dragon pour sauver le royaume… au prix de son esprit. Car pour éveiller un dragon, il faut le sculpter dans une pierre spéciale et confier à la statue ses souvenirs et ses émotions. Les perdre définitivement.
Car voilà, les vrais dragons n'existent pas : les dragons des Anciens sont des statues dans lesquelles ils ont déversé leurs âmes et qui ont pris vie. Ce sont comme d'énormes jouets mécaniques qui ont besoin d'être remontés de temps en temps.
D'ailleurs, en touchant un pilier de téléportation, Fitz visitera par accident une cité des Anciens. La technologie de cette civilisation disparue est incompréhensible : en touchant les murs, on peut revivre le passé, les bâtiments défient les lois de la gravité et de la beauté… En vérité, les Anciens ressemblent beaucoup aux Atlantes..
Et pour finir, les antagonistes gagnent en carrure. Guillot, Carrod et Ronce deviennent proprement terrifiants. L'Art leur permet de localiser Fitz, de torturer son esprit, et de lui soutirer des informations. Et plus le temps passe, plus ils se perfectionnent. L'évocation de leurs noms me faisait frémir. Une sorte de course-poursuite mentale se joue entre les quatre Artiseurs.
Bref, un tome qui conclut bien la saga, mais qui me laisse légèrement sur ma faim. J'ai envie d'en savoir plus sur l'univers, sur le devenir des personnages (que vont faire tous ces dragons, lâchés dans la nature ?) et tout simplement, j'ai envie de rester encore un peu dans les Six-Duchés.
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— Je souhaite seulement le voir. (Une voix de femme agacée.) Je sais qu'il est ici.
— Je pense devoir admettre que vous avez raison ; mais il dort.
Le fou et son calme exaspérant.
— Je tiens néanmoins à le voir.
Astérie et son ton mordant.
Le fou poussa un grand soupir.
— Je pourrais en effet vous permettre de le voir, mais alors vous voudriez le toucher, puis, l'ayant touché, vous voudriez attendre son réveil, et, à son réveil, vous voudriez lui parler. On n'en finirait plus, et j'ai beaucoup à faire. Un fabricant de jouets n'est pas maître de son temps.
— Vous n'êtes pas fabricant de jouets ; je sais qui vous êtes réellement et je sais aussi qui il est.
[...]
— Ah, c'est vrai. Caudron et vous connaissez notre grand secret : je suis le Prophète blanc et lui c'est Tom le berger. Mais aujourd'hui je suis très occupé à prophétiser que des marionnettes seront achevées demain, et quant à lui il dort. Il compte les moutons.
— Ce n'est pas ce que je voulais dire. (Astérie avait baissé la voix, mais elle portait encore.) C'est FitzChevalerie, fils de Chevalerie l'Abdicateur ; et vous, vous êtes le fou.
— Autrefois, j'ai peut-être été le fou ; c'est de notoriété publique ici, à Jhaampe. Mais je suis aujourd'hui fabricant de jouets ; comme je ne me sers plus de l'ancien titre, vous pouvez le prendre à votre compte, si vous le souhaitez. Pour ce qui est de Tom, j'ai l'impression que son titre actuel est celui de sire Traversin.
— J'en réfèrerai à la reine.
— Judicieuse décision : si vous désirez vraiment devenir son fou, c'est assurément la personne à voir. Mais, en attendant, permettez que je vous montre quelque chose. Non, reculez un peu, que vous voyiez la chose dans son ensemble. Tenez, regardez.
J'entendis un claquement, puis un bruit de loquet qui s'enclenche.
— Ma porte vue de l'extérieur ! annonça le fou d'un ton joyeux. Je l'ai repeinte moi-même ! Ça vous plaît ?
Il y eut un choc sourd, comme un coup de pied dans une porte, suivi de plusieurs autres. Le fou retourna auprès de sa table de travail en fredonnant.
— Pourquoi les hommes parlent-ils ainsi ? me demanda [Œil-de-Nuit] alors que je tirais avec précaution sur la peau couverte d'aiguillons.
— Comment ça ?
— En donnant des ordres. De quel droit un homme donne-t-il des ordres à un chien, s'ils ne sont pas de la même meute ?
— Certains sont de la même meute, ou presque, répondis-je tout haut en réfléchissant. [...] Certains hommes croient avoir ce droit, repris-je au bout d'un moment.
— Pourquoi ? insista Œil-de-Nuit.
À mon grand étonnement, je m'aperçus que je ne m'étais jamais posé la question.
— Certains pensent valoir mieux que les bêtes, fis-je lentement ; ils pensent avoir le droit d'user d'elles ou de leur donner des ordres comme bon leur semble.
— Penses-tu comme eux ?
Je ne répondis pas tout de suite. [...]
— Valons-nous mieux que ce porc-épic que nous allons manger ? Ou bien se trouve-il simplement qu'aujourd'hui nous avons été plus forts que lui ?
Œil-de-Nuit inclina la tête, les yeux fixés sur mon couteau et mes mains qui mettaient la chair à nu.
— Je suis toujours plus intelligent qu'un porc-épic, je crois, mais je ne lui suis pas supérieur. Peut-être le tuons-nous et le mangeons-nous parce que nous en sommes capables. Tout comme (il étira ses pattes avant d'un mouvement langoureux) je dispose d'un humain bien dressé pour dépecer à ma place ces créatures piquantes afin que je les savoure encore davantage.
Il laissa pendre sa langue en me regardant : nous le savions l'un comme l'autre, sa réponse n'éclairait qu'une partie de l'énigme.
— [...] Vous n'êtes pas un homme ordinaire ; les autres s'imaginent avoir un droit sur toutes les bêtes, le droit de les chasser, de les manger, de les asservir et de gouverner leur vie. Vous, vous savez que vous n'avez aucun droit à cette autorité. Le cheval qui vous porte le fait de son plein gré, comme le loup qui chasse à vos côtés. Vous avez un sentiment plus profond que les autres hommes de votre présence dans le monde, et vous êtes convaincu d'avoir le droit, non de vous en faire obéir, mais d'en faire partie.
"Qu'est-ce que vous faisiez ? demanda-t-il d'un ton soupçonneux.
- Je me soulagais." Je pris soudain une décision "Et mon chien m'a suivi depuis la ville et nous a rattrapés; je l'avais laissé à des amis mais il a dû ronger sa corde. Ici, mon chien, aux pieds !"
Tes pieds, je vais te les ronger, tu vas voir ! me lança Œil-de-Nuit, mais il obeit et pénétra en même temps que moi dans la cour dégagée.
"Rudement grand, votre chien", observa Nik. Il se pencha en avant "On dirait qu'il est plus qu'à moité loup
- Oui, on m'en a fait la remarque en Bauge. C'est une race de Cerf, on s'en sert pour garder les moutons."
Ça, tu me le paieras, je te promets.
"Fais voir ce que tu as dans cette besace", dit-il d'un ton sec en s'approchant encore.
Impossible de lui montrer les poisons : rien ne pouvait expliquer que j'eusse de tels produits en ma possession ; nul songe de pouvait me permettre d'échapper à cet homme. J'allais devoir le tuer.
Et tout devint soudain très simple.
Cinq femmes qui écrivent de la science-fiction.