Trois fois la mort de Samuel Ka

Aujourd'hui je vais évoquer Trois fois la mort de Samuel Ka texte hybride épatant de Jean-Marc Fontaine.
Trois fois la mort de Samuel Ka est un récit romanesque, l'anatomie d'un désastre, la radioscopie des émeutes en banlieue. En introduction et en conclusion l'auteur évoque la mort de Nahel à Nanterre en 2023. le narrateur Antoine est alors à Marseille et assiste à des émeutes spontanées suite au décès du jeune homme. C'est le point de départ de la remémoration d'événements survenus une dizaine d'années auparavant à Pantin au sein de la cité des Boqueteaux. Les descriptions urbaines, la topographie des lieux, l'enclavement de la cité, les conditions de logement sont parfaitement documentés. Sous trois angles différents des nuits d'agitation urbaine suite à la mort de Samuel Ka sont scrutées et analysées. Tout a commencé par un braquage pas très loin du quartier chez Moctezuma ce qui conduit à l'intervention des forces de l'ordre pour serrer les coupables. Trois fois la mort de Samuel Ka est une littérature du réel qui se situe entre récit et thriller avec une forte composante sociologique. D'ailleurs Antoine est embarqué dans l'histoire de Samuel Ka lorsque jeune sociologue il est envoyé à Pantin deux ans après les faits pour mener une enquête à l'appui de la réhabilitation d'une cité (à l'approche d'élections ce qui rend la pérennité du projet incertaine). Il découvre alors le souvenir laissé par le jeune délinquant abattu par la police en situation de légitime-défense. le premier point de vue sur les faits est celui du commissaire Vanec'h envoyé sur place pour sécuriser les lieux. le gardien G est celui qui a abattu Samuel Ka qui le menaçait suite à une course poursuite avec son arme doit être protégé. A tel point qu'il ne sera pas inquiété et poursuit sa carrière de policier. Mais en réalité la légende journalistique portée par les médias et les pouvoirs publics reflète-t-elle l'exacte vérité ? Certes cela a débouché sur un non-lieu ; la famille évangélique (qui avait partiellement renié Samuel, voyou irrécupérable) ne s'est pas constituée partie civile et n'a pas porté plainte mais une bavure n'est-elle pas dissimulée derrière la narration officielle ? Enquêter, consulter les archives, révéler la vérité n'est pas simple pour Antoine, le silence accablant entoure Samuel Ka. Trois fois la mort de Samuel Ka est un roman inspiré de faits réels, la composante sociologique est très intéressante. L'input des sciences sociales dans le récit permet de mesurer les enjeux et d'analyser les émeutes urbaines (à la fin une longue liste est égrenée avec la liste des victimes). Jean-Marc Fontaine écrit : « ce sont des petites comètes, ces morts, qui passent en traînant derrière elles une pluie de poussières lumineuses. Ça brille un moment dans la nuit puis ça s'éteint en quelques heures ou en quelques jours. Avec éventuellement une reprise de feu un bouquet d'artifice qui prolonge la lueur. » Son livre rend hommage au protagoniste et tente de faire la lumière sur les événements. Il ne s'agit pas de disculper ou de minimiser son rôle de délinquant et de trafiquant mais de mettre en lumière les agissements policiers déviants qui sous prétexte d'être garants de la sécurité et de devoir contrôler la violence qui gangrène les cités et explose lors des émeutes (sous l'effet d'un catalyseur souvent constitué par une mort imméritée – aucun délit ou crime ne mérite la peine de mort). L'auteur a un positionnement extérieur aux faits et explore la réalité des cités urbaines (le rôle des éducateurs, l'absence de services publics, les associations locales, l'implication des femmes dans le contrôle de la violence, la racialisation dont sont l'objet les populations) avec objectivité. le style est percutant, le narrateur interpelle le lecteur, ne le laisse pas tranquille et l'oblige à réfléchir et à se positionner.
Trois fois la mort de Samuel Ka est un roman coup de poing, l'auteur manifeste un véritable élan à l'égard des banlieues et tente un difficile exercice de réhabilitation en mettant l'accent sur les actions positives et les initiatives locales nombreuses qui permettent à ces lieux abandonnés de ne pas totalement sombrer dans le désespoir malgré le fléau du trafic de drogue.
Voilà, je vous ai donc parlé de Trois fois la mort de Samuel Ka de Jean-Marc Fontaine paru aux éditions Globe.
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« Résistante ? On va retirer la majuscule et dire « résistante » avec un petit r. Résistante au quotidien. Aux forces armées de la quotidienneté. À l'occupation par l'état des choses. À l'état de fait. À l'état de fait des choses comme elles sont. »
À Nanterre, en ces jours de Mai 2024, une reconstitution est faite pour comprendre la mort du jeune Nahel. Pourquoi un motard de la police a-t-il tiré sur lui ? Était-il en danger de mort ? Face aux déclarations contradictoires, qui croire ?
À Marseille, en Juin 2023, certains quartiers sont à feu et à sang. Antoine se souvient des Boqueteaux, une cité près de Paris. Un vol avec violence dans une bijouterie commis par trois jeunes avait eu de fâcheuses conséquences. Descentes de police, mutineries, insurrection. Et puis la mort de Samuel. Légitime défense vu qu'il avait dans les mains un fusil à pompe. On passe à autre chose, rien à justifier, à expliquer, d'autant plus que le mort n'avait pas bonne réputation.
Mais Jean-Marc Fontaine décide d'aller plus loin pour comprendre, analyser, disséquer. Comment peut-on en arriver là ? Par l'intermédiaire du personnage d'Antoine, il présente plusieurs points de vue sans jamais juger, en restant observateur et en écoutant ceux qui s'expriment. Chacun son ressenti, son approche. Pour une même situation, les interprétations peuvent être nombreuses et très différentes les unes des autres.
Quand il y a une révolte, il y a obligatoirement une cause, un catalyseur, des conséquences. Un policier fait partie d'une « famille » avec ses collègues. Ils ont été formés à une certaine « vision » des « incidents », ça fait partie de leur « job ». Un mort ça fait désordre, il faut calmer tout ça. La solution ? Surveiller, réprimer si besoin, étouffer, gérer. Mais en face, les jeunes sont mal à l'aise.
« En plus, ça ne leur suffisait pas d'avoir tué Samuel. On aurait dit que c'était nous aussi qu'ils voulaient tuer, nous tous. Tous ceux de la cité. Peut-être pas tuer au sens légal du terme -médecin légiste et tout ça. Tuer dans nos têtes. »
Les jeunes ne comprennent pas ce « flicage », ils ont l'impression de ne pas être libres, d'être en permanence « espionnés », comme s'ils étaient sans cesse coupables de dérives.
Deux clans ? Les ados des cités et les flics ? Il y a également les parents, les éducateurs, les journalistes, Antoine le sociologue. Est-ce qu'on peut éviter ces drames, ces altercations ? L'auteur s'interroge, et nous renvoie ses questions.
Son propos est fin, très juste. Son écriture pointue, précise, au scalpel avec des phrases courtes fait mouche. Il va droit au but, sans concession. Depuis longtemps, impliqué dans les luttes politiques et sociales, il sait de quoi il parle. Il a le regard intelligent de celui qui prend du recul, qui ne laisse pas ses émotions l'envahir pour décrire ces banlieues où tout peut être vécu : le meilleur comme le pire.
Cette lecture a été édifiante, j'ai vraiment eu l'impression d'être au coeur des événements, d'être au plus près de ces hommes et femmes qui vivent la violence de près ou de loin, qui, officiellement, souhaitent tous la paix mais en oubliant parfois de discuter, de dialoguer afin de cerner les solutions les plus appropriées, celles où l'écoute, la confiance, le dialogue prendront le pas sur la haine et la brutalité …

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