Tout d'abord, je remercie Babelio et les éditions Rageot pour l'envoie de ce livre dans le cadre de l'opération Masse Critique Jeunesse.
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Les derniers refuges'' est un roman jeunesse qui lorgne fortement du côté de la SF et du post-apocalyptique. Il suit les aventures de Shanna et son frère Aron qui, en accostant après une sortie en bateau, apprennent qu'une étrange mousse bleue vient de ravager le monde et de tuer pratiquement tous les humains.
Ce bouquin est celui qui m'intéressait le plus de toute la masse critique, donc apprendre que j'allais le recevoir a vraiment été une très très bonne surprise ! J'avais vraiment hâte de découvrir comment un genre aussi lourd et sombre que le post-apo allait pouvoir être adapté pour coller avec un public jeune. Mais malheureusement, j'ai été déçue voire même gênée à plusieurs reprises, ce que je vais expliquer dans cette critique.
Sur la forme, j'aime beaucoup cette couverture à la fois douce et inquiétante, avec le choix particulier des couleurs et cette étrange silhouette de maison qui se découpent par rapport aux autres éléments. Côté écriture, le style est très agréable malgré un problème récurrent de conjugaison (le livre est écrit au passé mais se retrouve assez souvent avec des paragraphes entiers au présent, surtout en fin de chapitre), et le vocabulaire utilisé est riche. L'histoire nous permet de découvrir le monde de la navigation tout en douceur, avec pas mal de termes techniques qui sont expliqués au fur et à mesure sans donner un effet trop rébarbatif. le tout rend le bouquin très agréable à lire, j'ai beaucoup apprécié !
Sur le fond, nous suivons plusieurs personnages situés à plusieurs endroits, qui vont tantôt se séparer, se retrouver, agir ensemble ou en solitaire. J'ai beaucoup aimé cet aspect roman choral, même si le nombre de personnages pousse certains à être oublié en cours de route, au point qu'on ne sait même pas ce qu'ils vont devenir à la fin du livre. L'histoire nous emmène dans les traces de Shanna, une adolescente qui part faire une virée en bateau avec son frère pour se changer les idées suite à une rupture amoureuse. Poussé par le mauvais temps, Shanna, son frère Aron, et leur ami Miguel décide de passer la nuit sur une petite île afin de ne pas prendre de risque, et c'est en arrivant qu'ils découvrent que le monde a été envahi par une étrange mousse bleue.
Dès le début, cette idée de monde qui se teint en bleu m'a énormément plu, au point que j'ai regretté que l'apocalypse arrive si tôt. le passage sur les tags de poissons ornant des murs et des routes bleues est très poétique et très ''visuel'', j'aurais vraiment voulu pouvoir découvrir davantage ce nouveau monde bleu. Mais rapidement, ce champignon bleu se transforme en mousse qui tue tous les humains qui sont à son contact, et l'humanité est ainsi pratiquement anéantie. Là encore, la description de ce monde couvert de mousse, où la survie est difficile, aurait pu être grandiose, mais tout va trop vite. Au point d'ailleurs de nous priver d'informations pourtant importantes : les animaux sont-ils touchés également ? le champignon bleu se trouvant ''dans le sable qui compose bétons, ciments et bitumes'', pourquoi le sable et donc les plages ne sont pas envahis de mousse bleue ? le sable étant facilement porté par le vent, comment des endroits situés en bord de mer (comme Greenwood
ou la prison) peuvent-ils être épargnés par la catastrophe ? Je sais qu'on est sur un livre jeunesse, mais j'ai trouvé que l'intrigue coinçait de ce côté là : soit les auteurs auraient dû rester plus vagues sur ce champignon, soit ils ils auraient dû mieux le penser et le définir. Mais là, on se retrouve avec les fesses entre deux chaises...
A l'inverse, nous apprenons très rapidement qui est responsable de cette mousse bleue, et j'avoue être très dubitative sur ce choix : pourquoi ne pas avoir conservé cette révélation pour plus tard ? Là, les explications tombent comme un cheveux sur la soupe. Pire, elles seront tout bonnement ''oubliées'' durant une ellipse d'une semaine qui se situe entre la troisième et la quatrième partie, sans doute parce que trop problématiques pour être intégrées à l'histoire, et ça c'est vraiment une grosse erreur à mes yeux.
D'ailleurs en parlant de cette ellipse, j'ai trouvé qu'elle posait réellement problème parce qu'elle vient scinder le livre en deux parties : une première qui se tient, une seconde qui est totalement bancale parce que la logique semble avoir été totalement oubliée pendant cette semaine ellipsée. Ainsi
Shanna et Kayne oublient comme par magie que Aron est responsable de l'apocalypse, ce qui est quand même cocasse ! Il sera bien évoqué vite fait qu'elles ne croient pas trop les révélations de Miguel mais ce point n'est pas du tout creusé. Les deux filles n'en parlent même pas, Shanna est juste contente de téléphoner à son frère et c'est tout, elle n'essaye même pas de provoquer de discussion avec lui. Dans la même lignée, le plan prévu était que Aron emprunte un voilier aux pêcheurs pour ramener sa mère et son frère... mais à la place, Aron part au Refugio ! Il zappe totalement sa famille et sa frangine, s'en va sans rien dire, mais là encore ça ne génère rien. Ce point est tout bonnement oublié, Shanna ne dira jamais rien, ce ne sera même pas évoqué ensuite. C'est tout simplement oublié. Concernant les habitants de Pointe-aux-Becs, Shanna les désignera ouvertement comme sa famille, comme des gens très importants qu'elle doit aider... et pourtant, ces mêmes habitants ont refusé tout net de les aider, elle, Aron et Miguel. Seule Rosa les a accueillis dans sa maison, sinon ils auraient été bons pour dormir dehors. Et lorsque les habitants prêtent un voilier à Aron, ils gardent Shanna en otage et exigent que Aron ramène le bateau et des informations sur ce qui se passe s'il veut récupérer sa soeur. Mais là encore, pouf c'est oublié ! le bouquin ne reviendra jamais sur ce chantage ni sur le comportement un peu limite des habitants. Cette ellipse marque donc une véritable rupture de cohérence dans l'histoire, et c'est vraiment dommage d'avoir faire une si grosse erreur.
Autre problème, ce livre a voulu mettre en avant certaines causes, et si j'adhère également à ces causes, je les ai trouvé très mal abordées.
La première et le couple lesbien Shanna et Kayne : déçue par son petit-copain, Shanna tombe amoureuse de Kayne, qui n'aime pas les hommes parce que sa mère avait connu beaucoup de déceptions également dans ses relations. Là, c'est Red Flag : une femme n'est pas lesbienne parce qu'elle n'aime pas les hommes, une femme est lesbienne parce qu'elle aime les femmes ! Ce cliché de la fille déçue des hommes, c'est un cliché limite homophobe, qui démontre bien que les auteurs sont tous deux hétérosexuels et qu'ils parlent donc de sujets qu'ils ne connaissent pas et sur lesquels ils ne se sont pas renseignés correctement. de plus, Shanna n'a aucun souci avec son homosexualité nouvellement découverte. Pas de questions, pas d'angoisse, pas de problème pour faire son coming out à absolument tout le monde... là encore, ça démontre un manque total de connaissance sur le sujet. Enfin, nous assistons à quelques moments gênants avec les deux cousins qui balancent des insultes homophobes, et qui semblent n'être là que pour dénoncer l'homophobie de manière creuse, surtout qu'il n'y a aucune raison pour qu'ils soient au courant. Après tout, ni Shanna ni Kayne ne les apprécie, ils ne sont en contact que par téléphone, et le tout a duré moins d'une semaine... alors qu'est-ce qui aurait bien pu pousser les deux filles à apprendre aux cousins qu'elles étaient en couple ?!
Autre cause qui est abordée : l'écologie. Comme on l'apprend très rapidement, c'est un groupe d'écologistes qui est responsable de cette mousse bleue et du génocide de l'humanité, mais le bouquin ne les condamne absolument jamais, et là j'ai été vraiment gênée. Qu'un livre pour adulte mette en scène des personnages très ambiguës moralement, ça ne me pose pas de souci. Mais ''
Les derniers refuges'' s'adresse à un public à partir de 12 ans (j'ai vérifié sur le site de l'éditeur), et je trouve ça très problématique de présenter des terroristes comme des héros. le mot ''terrorisme'' est d'ailleurs très peu employé dans le livre, et seulement dans des contextes avec des ''méchants'' qui frisent la caricature.
Les seuls à ouvertement condamner Terra Nueva, ce sont les militaires sur la frégate, qui ont tous des noms russe histoire de bien souligner que ce sont des russes, donc des méchants, ce qui vient donc invalider ce jugement de terrorisme et de génocide. Cet aspect de ''méchants militaires'' est d'ailleurs poussé à ce plus haut point de ridicule, avec Tess qui rechigne à l'idée de leur donner des infos puis s'enfuit comme si elle était prisonnière d'odieux vilains !
Les personnages de ces terroristes sont également présentés d'une manière très attrayante : ce sont des gens gentilles, intelligents, sympa, qui souhaitent un retour à la nature. Ils portent des habits en lin, ont des dreadlocks, aiment marcher pieds nus dans le sable pour se reconnecter à la nature et fument des joints. Pire, ce sont surtout des gens qui, pas une seule seconde, ne se sentent coupables d'avoir génocidé l'humanité, ni d'aller
achever les survivants avec des drones. D'ailleurs, ils sont très prêts de la nature, mais ils vivent dans un QG ultra moderne et qui ne dénoterait pas pour un méchant de James Bond
avec ses armes biochimiques mises au point par des supers savants, son armée de drones et son passage secret qui mène tout droit à un autre QG encore plus super secret.
Enfin, la fin semble vite expédiée, et laisse tellement d'éléments en suspens que ça ressemble plus à un tome 1 qu'à une fin ouverte. Pire, cette fin vient encore enfoncer le clou de la gêne, puisque les terroristes ne sont jamais considérés comme responsables ou comme mauvais (
Aron est très très vite pardonné et se pardonne bien vite lui-même, pour le peu de regrets qu'il éprouvait d'ailleurs... Janika et Andreas s'en sortent sans un bobo, prêts pour continuer leurs actions terroristes et se venger. Eux non plus ne s'en veulent pas, même pas d'avoir laisser tous les gens qui bossent pour eux mourir quand ils se sont enfuis sans aider personne. Les seuls personnages vraiment droits moralement, les militaires, sont tous morts...).
En bref, ce livre a de très bonnes idées, mais la manière dont il les utilise est extrêmement problématique, notamment avec cette idée que ''le terrorisme et le génocide, si c'est écologique, c'est une bonne action !'' Je trouve que cette déresponsabilisation et cet extrémisme n'ont clairement pas leur place dans un bouquin qui s'adresse à des enfants de 12 ans.