Les hommes politiques ne peuvent plus apporter le moindre espoir à l'espèce humaine. le mode de gouvernement, quel qu'il soit, est néfaste car tenu par des hommes qu'intéresse uniquement le pouvoir et qui ne cherchent pas à assouvir les besoins cognitifs de ceux qu'ils dirigent. En tout cas, tel est l'avis du regroupement des plus brillants scientifiques de ce monde.
A l'issue d'une épreuve de neuf jours, neuf d'entre eux seront sélectionnés et constitueront le cercle des Nobel. Leur projet, né d'une ambition commune, sera de constituer un gouvernement international afin de remédier aux lacunes laissées par une classe politique incompétente et bornée par des intérêts financiers. L'humanité dans sa totalité devrait ainsi accéder à un niveau de vie confortable mettant à disposition logements, eau potable, nourriture et temps libre –ce dernier point étant primordial pour assurer l'objectif des Nobel : libérer l'humanité du temps perdu à l'assouvissement des contraintes vitales afin de lui permettre de se consacrer à l'étude et à l'essor de la Science.
Malgré les querelles ridicules –mais peut-être véridiques- qui font s'opposer non seulement physiciens et biologistes, mais aussi scientifiques et littéraires (par ailleurs sans cesse tournés en dérisions dans cette chasse au savoir), les Nobel réussissent à mener à bien leur projet. Un peu trop facilement pour que cela paraisse crédible d'ailleurs :
Citation:
« La famine, la simple faim étaient des souvenirs du passé. Comme le prévoyait Fawell, l'abondance des surplus dans certaines régions et la profusion de transports utilisables avaient réglé les situations d'urgence en quelques semaines. Son programme de cultures apporta par la suite une solution définitive à tous les problèmes de cette sorte. le Sahara était en partie irrigué et fertile ainsi que certains déserts d'Asie. »
On comprend que
Pierre Boulle ne désire pas s'intéresser à ce processus mais ses explications vagues minimisent l'intelligence des Nobel : puisqu'il suffit d'un claquement de doigts pour remédier à tous les malheurs du monde, où se situe leur mérite ? de quelles prouesses peuvent-ils se vanter ?
Les complications surviennent après cette phase dorée de l'égalisation mondiale des niveaux de vie (si cela se produisait aujourd'hui, ce serait un cauchemar pour l'humanité) : les Nobel réalisent que malgré tous leurs efforts, la majorité des hommes ne désire pas particulièrement s'instruire ni consacrer sa vie à la poursuite de la science. Les grandes leçons sur l'expansion de l'Univers et ses conséquences dépassent la compréhension de la masse balbutiante chez qui elles ne suscitent rien de plus que des interrogations de nature astrologique : quel sera mon avenir, et deviendrai-je riche un jour ? Les intérêts universels des hommes de science s'opposent aux petits intérêts individualistes et mesquins de la masse. Alors que les Nobel cherchaient à abolir la dichotomie savants/populace, la voici qui revient à grand galop. Et le massacre se poursuit : non contente de négliger les aspects potentiellement salvateurs de la Science, la populace (qui mérite ici d'être évoquée en ses termes les plus dégradants) se met à dépérir et la courbe des suicides croît plus rapidement que les progrès scientifiques espérés. le manque de besogne et de loisirs sont simplement désignés comme explications à ce phénomène. On regrette que
Pierre Boulle ne s'attarde pas davantage sur ce fait. L'auteur a en effet la tendance critiquable à bâcler rapidement des scènes qu'il considère uniquement comme des moteurs dramatiques censés l'amener plus rapidement vers la conclusion et/ou la morale de son histoire. Il se contente de nous signaler que le phénomène se propage également aux savants puisque les Nobel s'abaissent en effet à consacrer davantage de budget aux loisirs qu'ils avaient sciemment délaissés jusqu'alors.
Les premiers grands spectacles internationaux font dans la démesure mais ne cherchent pas particulièrement le déchaînement des instincts les plus violents. Malheureusement, il semble que ce dernier point soit le plus recherché de tous et n'étant pas assez exploité dans les premiers spectacles, la population s'en lasse rapidement et le phénomène des suicides reprend sa progression tranquille. Les Nobel sont donc contraints de se soumettre à la demande. Ils se prennent au jeu à leur tour et organisent des spectacles de plus en plus cruels, impressionnants et destructeurs. Quelques morts grandioses semblent en effet apaiser la lassitude du monde et sont toujours plus économiques qu'un phénomène généralisé de suicides.
L'effet pervers de cette soumission à la demande se révèle peu à peu : alors que les savants cherchaient à intégrer la population à leur milieu, l'inverse se produit. Ce sont les hommes de science qui finiront par se convertir aux passions du milieu populaire, mettant leur ingéniosité dans l'art de satisfaire ce qu'ils considéraient jusqu'alors comme des occupations viles et dérisoires.
Malgré le potentiel contenu dans cette trame, la lecture du texte de
Pierre Boulle apporte surtout de la déception. le style est complètement plat, et les quelques rares incursions du côté de l'épique tombent à côté de la plaque en nous fournissant des descriptions dont le kitsch rivalise avec l'abondance de clichés désuets :
Citation:
« Infatigable, Miss Lovely se déchaînait. Une puissante détente de tous ses muscles et son admirable corps nu, rougi du sang de ses précédentes victimes, tendu comme un arc, volait littéralement à travers les airs. »
Pierre Boulle prend rarement du recul sur les causes des évènements qu'il décrit ou sur la psychologie de ses personnages. D'ailleurs, l'histoire n'est abordée que du point de vue des savants. Choix étonnant pour deux raisons, puisque tout d'abord la motivation principale des Nobel semblait être celle d'abolir les différences culturelles qui séparaient les savants du reste de l'humanité, et puisque
Pierre Boulle n'a de cesse de pointer les défauts des savants et de mettre en avant le ridicule de certains traits prégnants du milieu dans lequel ils évoluent. Sans cesse rabaissés à un cercle de coqs mus par le seul objectif de prouver la supériorité de leur discipline par rapport à une autre, leur vision du monde semble bornée et aussi incapable que celle des politiciens à améliorer l'état mondial. Mais l'ambivalence de
Pierre Boulle à ce sujet vient sans cesse briser le rythme de ces incursions mordantes, et entre ironie ou éloge raté, on ne comprend jamais vraiment ce que l'auteur a souhaité exprimer. La platitude stéréotypée de son écriture et le manque d'approfondissement des thèmes abordés ne nous aident pas à résoudre cette énigme, et
les Jeux de l'esprit, malgré leurs prétentions à viser le spectaculaire, finissent par sombrer dans l'anecdotique.
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