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sur 227 notes

Critiques filtrées sur 4 étoiles  
ODP, Au Tableau… noir !
Je sors ma craie et pour une fois, je n'ose pas poser mes mots sur l'ardoise. Puis vient un rayon de soleil qui éclaire le tableau et m'autorise à tracer juste un modeste trait de liaison entre le poète et le peintre centenaire.
Quand Christian Bobin écrit à Pierre Soulages, cela ne ressemble pas à la carte postale envoyée le dernier jour des vacances à sa tata qui pique. Il ne dit pas qu'il a eu beau temps, qu'il a visité tous les lieux communs et apprécié toutes les spécialités locales. le poète ne rapporte pas un cadeau acheté à l'arrache au Duty Free avant d'embarquer. Lui, il écrit. Tellement bien que je ne vais que digresser pour ne pas enlaidir cet hommage.
Christian Bobin partage dans sa lettre son émerveillement et son amitié pour cet artiste qu'il part rejoindre un soir de Noël. Il nous fait profiter de son voyage en train entre le Creusot et Sète à quelques heures du réveillon. Ce n'est pas la suite du crime de l'Orient-Express. Pas davantage une aventure dans le Transsibérien. Je n'aime pas Noël, je sais à peine placer le Creusot sur une carte et, désolé pour les sétois, mais c'est pas sémoi. La beauté de ses cimetières peut néanmoins attirer les morts qui recherchent un joli point de vue et la compagnie de Brassens ou Valery pour occuper l'éternité. Pour les vivants, il reste l'odeur enivrante d'oeuf pourri du Bassin de Thau. Et bien, pourtant, à aucun moment de ce trajet, je n'ai eu envie de me jeter sous le TER.
La lecture de ce court texte a fait suite à ma visite du Musée Soulages à Rodez que je ne peux que conseiller. Et puis il y a de très bonnes cantines à proximité. Fondue au noir ! Ce fut une révélation. Certains ont vu la vierge, d'autres des ovnis, moi, je pense avoir vu l'Outrenoir. J'ai longtemps été hermétique à l'oeuvre de ce peintre car je ne manque jamais de préjugés quand il s'agit d'abstraction. Il a fallu que je me retrouve face à ses tableaux pour comprendre que c'était le reflet de la lumière sur la toile qui faisait l'oeuvre, que les stries qui couvraient la surface n'étaient pas là par hasard mais qu'elles chorégraphiaient l'effet miroir. En résumé, pour une fois, comme la lumière, j'ai réfléchi.
Le livre de Christian Bobin est un très bel hommage à son ami et son écriture bienveillante est comme le ronronnement d'un chat qui dort sur vos genoux pendant que vous lisez… à condition bien sûr que cette bestiole ne soit pas la mienne et ne vous plante pas ses griffes dans la peau par sadisme félin…bécile.
Un plein d'émotions et un train à ne pas rater. Pensez à vous éloigner de la bordure des quais, comme le dit la madame, et des apparences.

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« Dans le donjon blanc vit l'amant du noir. »

Quoi de plus fort qu'un livre dont le titre est un prénom suivi d'une virgule, pour mieux rendre hommage à son ami centenaire ?
Christian Bobin écrit son roman comme s'il commençait une lettre.
C'est beau. Simplement beau.
Sa plume ondule comme un envol au souffle de son auteur.

« Il me reste quelques heures pour t'apporter la nuit du coeur. Tu passes dans ce livre comme au ciel les nuages que j'aime tant. »

La nuit du coeur a double sens, puisqu'il s'agit d'un ouvrage de l'auteur, dans lequel il a séjourné dans un hôtel donnant sur une abbaye où les vitraux sont signés Pierre Soulages.
En dehors de leur beauté, les textes de Bobin sont chargés de références. Il n'est cependant pas essentiel de bien les connaître pour apprécier la lecture. La preuve, je ne suis pas une puriste et j'ai pourtant passé un somptueux moment.

Hormis quelques citations saisies au hasard, Pierre, est le premier ouvrage que je lis de l'écrivain.

Comment le décrire ? Bobin se situe entre l'essai philosophique, la prose poétique et le journal touchant l'intime. Méditatif et rêveur...

« D'être seul fait devenir tout. » Vous avez quatre heures…

Qu'en est-il de son lien avec Pierre Soulages ?
Christian Bobin a du peintre la fièvre du vernissage. Il dévoile ses mots tels des fragments de lune, des pages gorgées d'étoiles. Il le dit lui-même « La grâce est dans les intervalles. »
Auteur contemplatif, son écriture s'apprécie comme une toile.
Pierre, ce sont plein de petits tableaux suspendus aux pages. Prenez vos billets d'entrée, l'exposition commence.

« Il m'est arrivé d'accrocher mon âme à des buissons. »

Pierre, pourrait se découvrir par la fin ou se déguster par échantillons. Ce livre a le désir de m'accompagner n'importe où, avec le plaisir de pouvoir être ouvert au hasard, pour en lire un court passage le temps d'un moment.
Pierre, n'est pas loin de me cueillir pour une séance de relaxation. J'adorerais entendre les textes de Christian Bobin repris en musique par nos meilleurs chanteurs et chanteuses francophones.

Inspirant, son style est sonore et visuel.

Pierre, c'est aussi l'appréciation de l'instant présent.

La virgule témoigne,
La virgule soulage,
La virgule aime,
Elle ondule et se balance la virgule,
Pierre, la virgule épouse la majuscule,
Noctambule, elle déambule...

La nuit, parlons-en… Christian Bobin souligne l'importance du noir. Ainsi la profondeur de la nuit est mise en lumière, tel un doux clair-obscur…

« La poésie est le noir du langage sur lequel passent les griffes de la lumière. »

Nous pouvons y voir des reflets de poussière dans le vent. Des étincelles d'étoiles.

« Un train m'attendait. Il avait passé la nuit dans une écurie de fer. Une lassitude l'empoussiérait. Les trottoirs écaillés, gris mouette, étaient signés Soulages. Je voudrais écrire un éloge de la poussière. »
« Le vent est la poussière de la lumière. »

La religion tient également un place importante, l'auteur rendant visite à Pierre Soulages le 24 décembre, en voyageant par train la nuit précédant l'anniversaire de son ami.

« Il y a une présence qui a traversé les enfers avant de nous atteindre pour nous combler en nous tuant. »

À plusieurs reprises, l'écrivain se confie en évoquant son père, continuant à vivre à travers son regard, pour marquer le contraste de la vie face à la mort. La lueur face à la pénombre.
Pierre Soulages ayant dépassé les cent ans, c'est aussi une façon d'aborder la fin avec sérénité. Oriflammes du deuil...

« Les yeux de mon père étaient la chambre du soleil. Je l'ai puissamment habitée. Ces yeux sont désormais les miens. Je vis de leur éternité. »
« Il y avait assez d'air entre les mots, assez de nuit sur la toile pour que quelqu'un se saisisse de sa propre vie inachevée. »

À trop chercher la voie lactée, Pierre Soulages finira par voler...

« Un geste me rassure dans cette vie, un seul, c'est appuyer ma main droite contre le tronc d'un arbre, où la faire glisser sur le crâne rasé d'un livre. Dans cette nuit conventionnellement sainte de Noël, inaperçu de tous, j'appuie ma main sur quelques outrenoirs. Ce geste est interdit dans les musées. C'est un blasphème. Son auteur mérite la peine de mort. Je ne respecte rien, Pierre. J'aime. »

Christian Bobin a versé pour vous quelques perles de nuit et de silence. Les silences de pierre.
Je lui laisse la conlusion.

« Tu te tais comme une forêt respire la nuit. »


Lu en août 2021
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Quel joli titre simple qui donne l'ouverture d'une lettre que Bobin adresserait à Soulages qui fêtera, le 24 décembre 2019, ses 100 ans.
De la poésie, de l'abstrait, du réalisme, du léger, du fort, de l'aérien, du terre-à-terre. Admiration d'un grand poète pour un grand peintre. de toute façon, les mots écrits d'une critique seront toujours bien pâles face à ceux de Christian Bobin, notre plus grand poète français contemporain.
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pierre,
Quel titre singulier pour un roman ? Une invitation ? Une interpellation ?
Non, le début d'une lettre ...
@Christian Bobin s'adresse à @Pierre Soulages. C'est une lettre, une déclaration d'amour que l'auteur adresse ici à celui qui révèle depuis tant d'années la beauté du noir.
On est d'abord déstabilisé par la forme du roman. Parce qu'en fait de roman, il s'agit ici de fragments, comme si l'auteur avait effectué un choix, une sélection dans son texte. Il en résulte parfois un sentiment de décousu. Mais une fois dépassé ce stade, on se laisse porter par les mots ciselés de @Christian Bobin. Une véritable poésie, une alchimie des mots. Il faut parfois - souvent - relire une phrase, un passage, pour en saisir tout le sens.
On pourrait presque parler d'écriture impressionniste - j'ignore si ce terme existe p, à la mort, à la Création. Et le C majuscule est ici volontaire puisque nombreuses sont les références à Dieu, la foi, la religion, la spiritualité au sens large.
Une lecture difficile d'accès donc, parfois, mais envoûtante ô combien.
A recommander.
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Dans cet opuscule sobrement intitulé « Pierre, », Christian Bobin évoque sa philosophie intérieure et dessine avec l'élégance habituelle de ses mots une ode au maître de l'Outrenoir, le monolithique Pierre Soulages. C'est un songe d'une nuit d'hiver qui nous est conté, des souvenirs comme des épiphanies, qui font surgir sur la toile de l'imagination de brefs tableaux qui parlent à l'âme. La voix du peintre ? « C'est la grotte de Lascaux avec de belles lueurs au fond de la gorge ». Sa maison parisienne ? « Un donjon rempli de blanc » où vit « l'amant du noir ». « On ne crée que pour guérir d'une angoisse, arrêter à mains nues les cavales de l'Apocalypse fonçant sur nous. Pour tenir face à la mitraille du néant, pour ne pas se coucher de lassitude sur la terre meuble des conventions, on écrit, on compose, on peint. »

C'est un voyage en train jusqu'à Sète que Christian Bobin nous raconte. Il se rend chez le peintre un 24 décembre. Il ne lui reste que quelques heures avant minuit pour apporter son livre « La nuit du coeur » à Pierre, avant que ne sonne l'expiration de son anniversaire. le peintre son ami est presque centenaire et Bobin se réjouit de le revoir, se réjouit de se souvenir. Kafka et Dhôtel dans son sac, ses fantômes assis à côté de lui, il regarde le monde comme à son habitude, avec un émerveillement de poète illuminé ou d'enfant naïf, ce qui revient presque au même. Fidèle à ses chères obsessions, Bobin évoque le souvenir du père et l'expectative de Dieu, comme si toute sa vie n'était qu'une fuite en contemplation pour dire adieu à l'un et se réfugier dans les bras cosmiques de l'autre. « Aller vers ceux qu'on aime, c'est toujours aller dans l'au-delà. »

Mais au-delà de ces considérations mystiques, ce sont les Outrenoirs qui s'avancent en apôtres des ténèbres, les tableaux du peintre dont l'unique couleur est celle du goudron, du charbon et de l'os calciné. Ces tableaux « sont face à un mur depuis des siècles et ils méditent. Ils ne mangent que du noir avec un filet de lumière. Rien d'autre. le mur qu'ils contemplent – c'est nous. Mettez-vous devant un outrenoir : vous n'aurez jamais été autant regardé de votre vie. »
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"J'aurai aimé te parler de poésie, toi qui l'aimes depuis toujours.Elle est, pour aller vite, le noir du langage, que lequel passent les griffes de la lumière". Christian Bobin/ Pierre,...Soulages. Si nous devions comprendre l'importance de leur incontournable rencontre il faudrait lire à travers cette phrase, l'espace qui s'entrouvre. Déclaration d'amour à la vie à la mort. Testament versé à la mémoire du peintre. " Première et dernière leçon soulagienne : le goudron du chemin réveillé par la pluie t'en apprendra plus sur toi que tous les livres saints.Vois comme il attrape la lumière.Vois comme il joue avec elle sans la retenir.Vois comme jamais il ne s'en croit l'auteur".
Lorsque les nuits d'hiver parlent d'amour c'est toujours un premier jour.
Astrid Shriqui Garain
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Pierre Soulage a désormais une salle consacrée à ses oeuvres au musée du Louvre. C'est à cet artiste de la lumière que se consacre Christian Bobin dans son dernier ouvrage.

Poète plus qu'écrivain, cet auteur livre à travers ces somptueuses pages une confession d'amitié à l'adresse du peintre mais aussi un espace où l'on peut percevoir son propre reflet.

Durant ce voyage en train qui le conduira du Creusot jusqu'à Sète un soir de Noël, Christian Bobin nous offre parfois en évoquant son compagnon de pensées Pascal ou encore Kafka, quelques précieuses réflexions sur notre rapport au monde.

Chaque phrase est ici aussi finement ciselée qu'un flocon de neige.

Empreint de spiritualité, cet ouvrage est un très beau cadeau à s'offrir ou à offrir, pour celles et ceux curieux  de découvrir les poètes et artistes, Christian Bobin et Pierre Soulages.

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Une fois encore, Christian Bobin rend hommage à l'âme de l'art, à son essence de survivant, à sa passion démesurée. Il dresse ici, avec tendresse et humilité, le portrait de feu de Pierre Soulages, artiste-peintre profondément admiré.
Comme toujours avec Christian Bobin, l'éternité des heures et la beauté des humbles nous entourent et nous guident, en train, jusqu'à Sète. Une éloge gracieuse, attentive, personnelle, pour celui qui a su toucher même involontairement l'auteur et le faire lui-même sortir du soi.
Une oeuvre joliment écrite, faite d'admiration et de lumière.
Lien : https://leblogdeyuko.wordpre..
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Comme toujours avec Christian, c'est léger en feuilles de livre, c'est puissant en messages humbles.
Dans cet opus il s'agit de soulager pierre,
de ce noir fondamental,
de cet outrenoir, de cet autrenoir
de cette "pensée inaccomplie",
parce que libre,
parce que l'on sent le "sens de cristallisation",
et parce que Christian, est là, pour veiller au grain d'obscurité, pour l'expliquer, pour l'aimer.
Comme toujours avec Christian, on ne sait pas où l'on va, parce que la destination n'est pas la finalité, Sète peut-être, surtout quand "aller vers ceux qu'on aime, c'est aller dans l'au-delà".
Dont acte, on cherchera dans le noir de Soulages, pierre...


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Parce que Soulages, parce que Bobin. L'écriture de l'un éclaire l'outrenoir de l'autre. En lisant l'un je comprends mieux le choc, l'éblouissement ressenti face aux tableaux de l'autre à une certaine exposition du centre Pompidou il y a... longtemps ! Tout en lisant je pensais à l'expression "écrit noir sur blanc" et me demandais si l'écrit de Bobin est ce que laisse remonter à la surface le noir des tableaux de Soulages. Je passais de l'éblouissement de certaines phrases, comme des illuminations que j'aurais voulu engrammer dans mon cerveau à la lassitude d'une écriture parfois trop elliptique, où je devais repartir en arrière pour tenter d'en décrypter non le sens mais la sensation, l'intangible que l'auteur tente de capter par des mots.
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