« Vers la fin de l'année 1612, par une froide matinée de décembre, un jeune homme dont le costume était de très mince apparence, entra dans une maison de la rue des Grands-Augustins, après s'être longtemps promené devant la porte avec l'irrésolution d'un amant qui n'ose se présenter à sa première, à une facile maîtresse ».
***
Ce jeune homme, c'est Nicolas Poussin. Il se glisse avec un vieillard, Maître Frenhofer, dans l'atelier de François Porbus.
***
Maître Frenhofer désespère de terminer une oeuvre à laquelle il se consacre depuis dix années : le portrait d'une femme d'un réalisme absolu.
« - Voir mon oeuvre !… s'écria le vieillard tout ému. Non, non, je dois la couver encore… Hier, dit-il, j'ai cru, vers le soir, avoir fini… Ses yeux me semblaient humides, sa chair agitée, les tresses de ses cheveux remuaient… Elle respirait !… Ce matin, au jour… j'ai reconnu mon erreur !… Je n'ai pas encore saisi la ligne vraie, la courbure exacte des formes de la femme… »
(…)
« - Oui, mon cher Porbus, reprit Frenhofer, il m'a manqué jusqu'à présent de rencontrer une femme irréprochable !… — Un corps dont les contours soient d'une beauté parfaite, et dont la carnation… »
***
Poussin se laisse convaincre de laisser sa maîtresse poser pour Maître Frenhofer, qui fier, dévoile son « chef-d'oeuvre », qui se veut d'un réalisme parfait.
« Ah ! ah ! s'écria-t-il, vous ne vous attendiez pas à tant de perfection !… Vous êtes devant une femme et vous cherchiez un tableau !… Il y a tant de profondeur sur cette toile ! l'air y est si vrai, que vous ne pouvez plus le distinguer de l'air qui nous environne… Où est l'art ?… perdu, disparu !… Ces contours sont les formes mêmes d'une jeune fille… J'ai saisi la couleur, le vif, le tranché de la ligne qui termine les corps !… Admirez !… Aussi, j'ai, pendant sept années, étudié les phénomènes de l'accouplement du jour et des objets… Et ces cheveux… la lumière ne passe-t-elle pas au travers… Mais elle a respiré, je crois !… Ce sein !… Voyez… qui ne voudrait l'adorer à genoux ?… Les chairs palpitent. Elle va se lever, attendez !… »
***
La suite, la chute, est aussi terrible que géniale.
Décontenancés, Poussin et Porbus.
Abîmée, l'image du grand maître.
« - Voyez-vous quelque chose ? demanda Poussin à Porbus.
- Non, et vous ?…
- Rien… »
***
On pense à
La Bonne Peinture de
Marcel Aymé, aux Habits neufs de l'empereur (publié quelques années après la nouvelle
De Balzac) de Hans Christian Andersen Les. Avec humour et poésie,
Balzac démonte "Le chef-d'oeuvre" qui restera à jamais "inconnu".