Editions de Minuit [corriger]

L’art du suspense avec trois bouts de ficelle…

Sous une apparente tranquillité, la menace est là, tapie, elle observe, guette patiemment son heure.

Bientôt, elle surgira, attaquera à la gorge, féroce, ne lâchera plus sa proie.

La menace est présente dans de nombreuses pages de court roman d’atmosphère.

Une menace tantôt réelle - par exemple celle d’un renvoi du collège pour Quentin après une bagarre avec un camarade de classe, l’orage qui va éclater- tantôt imaginaire ; un fantôme dans la chambre, une accumulation de tensions psychologiques, la méfiance de la mère de Quentin envers son fils ; elle guette l’étincelle, l’explosion.

Dans un état de tension palpable le lecteur attend l’appui sur la détente qui va tout faire partir en vrille…

Quelle maestria dans l’écriture !

Alors, l’histoire ? L’histoire ? euh quelle histoire ? presque rien ! quelques lignes de la vie ordinaire, une mère et son fils qui s’arrêtent dans une jardinerie pour acheter une plante. Un week-end en famille avec la cousine chez les grands-parents. Voilà c’est à peu près tout… et pourtant…

Derrière une syntaxe dépouillée et simplifiée à l’extrême, un exercice d’équilibriste sur le fil du réel très réussi avec la voix de cet ado qui opère sa mue en homme sans qu’il comprenne toujours très bien ce qui lui arrive.

Les doutes et affres de l’adolescence sont très bien décrits, j’ai retrouvé mes quatorze ans lors de cette lecture.

Quentin pour qui ce week-end va tout changer et l’expulser de l’enfance, les boutons d’acné, les poils de la moustache naissante, les premières pulsions sexuelles, et une confrontation avec sa mère pour une première discussion entre adultes.

Un roman écrit au cordeau, extrêmement réussi de mon point de vue pour la tension palpable à toutes les pages. En revanche, il laissera sur leur faim ceux qui préfèrent une histoire très construite avec une intrigue aux multiples rebondissements.

L’impression d’avoir été happée par une courte faille spatio-temporelle et en d’en ressortir vaguement étourdie et nauséeuse. À vous de juger si vous avez envie de sauter dans la faille (sans aucune menace de ma part) …

Sainte patronne du féminisme matérialiste, Monique Wittig a su marquer les esprits en élaborant une pensée inédite, une pensée qui cherche à dynamiter le contrat hétérosexuel comme seule base commune de nos sociétés. Celle qui énonçait déjà en 1978 que « les lesbiennes ne sont pas des femmes » a dérangé plusieurs parties, mais c’est la catégorie «femme» qui est ici mise sous les projecteurs. Le devenir femme serait avant tout une construction de l’homme, basé sur leurs désirs et leurs idéaux. Le corps de la femme serait constamment objectifié et/ou soumis à un contrôle rigoriste. Ce corps devient alors constamment scruté dans l’espace public, voire même critiqué s’il ne remplit pas les standards pour plaire. Les lesbiennes seraient donc les seules femmes capables de subvertir le modèle hétérosexuel dominant, n’ayant point besoin de la validation du regard masculin comme preuve d’existence. Wittig prône une rupture entre les deux classes antagonistes homme/femme pour fonder une nouvelle manière de vivre ensemble. Ce recueil de textes et d'entretiens, écrits ou publiés entre 1966 et 1999, éclaire chronologiquement la vaste et courageuse pensée de cette immense intellectuelle française.