À l'occasion de la 45ème édition du festival "Le livre sur la place" à Nancy, Nicolas Chemla vous présente son ouvrage "L'abîme" aux éditions le cherche midi. Rentrée littéraire automne 2023.
Retrouvez le livre : https://www.mollat.com/livres/2886538/nicolas-chemla-l-abime
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0:17': Pouvez-vous nous raconter ce qu'il se passe dans votre nouveau roman "L'Abîme"?
3:27': On plonge dès les premières pages, avec la description de la façade de cet immeuble, dans une ambiance gothique, un univers obscur qui affleure et qui ne va cesser de s'étendre. Via différents personnages, Doucet/ l'américain/ Persian Wolfe vous dressez un portrait d'un certain milieu homosexuel que vous mettez en rapport avec une sorte de tradition luciferienne. Qu'est-ce qui a motivé le choix de ces différentes thématiques?
6:28': le rapprochement entre l'univers satanique et la sexualité complètement libérée, et désir de faire un update de l'oeuvre "Là-bas" de Joris-Karl Huysmand, datant du 19ème siècle, livre de référence pour l'auteur.
Note de musique : © mollat
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Les Etats-Unis ont beau avoir poussé à l'extrême - certains diront même inventé - la notion de liberté individuelle, ils ne sont pas moins imprégnés du pouvoir normatif de la communauté.
(p. 197)
... et je suis au huitième cercle des Enfers et j'ai basculé dans la toile de Bosch, je suis perdu au milieu du Jardin des délices avec ses créatures qui ont des bites à la place de la tête et des fourches enfoncées dans le cul et qui aurait besoin d'une messe noire après cela, qui irait s'embarrasser de rituels secrets et de formules absconses alors que ça y est, ici au moins c'est clair, les voilà qui s'offrent tous au Grand Satan, le libérateur dans le noir et à sa gloire, même si c'est pour rire, évidemment que c'est pour rire, vous diront-ils, que les bigots ne viennent pas nous emmerder avec leurs bondieuseries rétrogrades et meurtrières, oui, meurtrières, le sang de combien de millions de morts sur les mains de l'Eglise conquérante, hein, et, combien de centaines de milliers d'enfants violés sous les soutanes de prêtres, une bite en bouche et le missel en main, alors quelques mecs qui s'enculent entre adultes consentants (mais totalement défoncés) sous les éclaires des projecteurs et les beats frénétiques de DJ machin, il est où, le problème ? Et qui a dit - Baudelaire, il me semble - que la plus grande ruse du diable est de faire croire qu'il n'existe plus ?
Comme l'écrivait Hesse, dont l'ombre du Demian semble planer sur les pages qui suivent, "son histoire n'est pas agréable à lire, elle n'est pas douce et harmonieuse comme les histoires inventées. Elle a un goût de non-sens, de folie, de confusion et de rêve, comme la vie de tout homme qui ne veut plus se mentir."
Il n’y a pas de principes, il n’y a que des circonstances.
Donc voilà, je tombe sur ce type, nu comme un ver, un grand gars plutôt bien bâti, un corps d'athlète, les pieds liés, un oeil bouffé, les entrailles à l'air, la tête en bas et les bras en croix, et forcément , je vous l'ai dit déjà je ne suis pas expert mais je m'intéresse à l'art, notamment la peinture, forcément je pense à la crucifixion de saint Pierre, celle peinte par Ribera par exemple, et vraiment ce qui me frappe, c'est l'expression de son visage, malgré la plaie, malgré l'oeil à moitié bouffé, c'est une expression qui semble hésiter entre l'extase et la douleur extrême, entre la grâce et l'horreur ....
... et l'on a ri et plus tard on s'y est remis, et tout cela, les heures de baise, d'études, de travail, de lecture, les nuits sans fins à discuter avec mes ex, jusqu'au point du jour, se découvrant des complicités inattendues, où l'on se caressait sous la lune et l'on comptait les étoiles à travers le vasistas, les petits déjeuners au lit pour me faire la surprise, les matins de stress et d'excitation avant l'entretien pour un job important, les enthousiasmes et les pop de champagne et les déceptions et les peines, tout cela s'est accumulé et superposé, une infinité de moi dans toutes les positions et sur chaque parcelle de la pièce, jusqu'à cet instant t où je suis à terre et je ne vaux plus rien, terrassé par un corps qui n'en veut plus, fragile et vulnérable et nu et effondré et tout près de disparaître, anonyme, oublié et sans gloire ni mémoire, effacé et noyé dans ma pisse, pour un vulgaire spasme du psoas.
Au moment où j'allais éteindre la lumière, elle a bâillé, juste devant mes yeux, et la métamorphose opérée sur son visage, à chaque fois la même, si rapide et comme au ralenti, a là encore révélé sa double nature, angélique et vampirique : en s'étirant, son minois tout de douceur et d'amour s'est déformée en une gueule béante et hideuse de créature diabolique ; ses oreilles en s'aplatissant vers l'arrière, se sont recourbées, et leurs pointes ainsi affûtées ont pris des allures de cornes démoniaques ; les yeux, en se plissant, sont devenus deux entailles ardentes aux reflets tranchants ; et ses mâchoires se sont ouvertes sur un gouffre comme la porte des Enfers, gardée par la herse menaçante de ses canines acérées. Une vraie goule échappée des armées de Satan. Et puis sa gueule se referme, et elle redevient la plus adorable des bestioles de l'univers.
... et ses offices à rebours, où l'abbé Beccarelli distribuait aux assistants ses hippomanes, "des pastilles aphrodisiaques qui présentaient cette particularité qu'après les avoir avalées, les hommes se croyaient changés en femmes et les femmes en hommes", et d'autres concoctions encore, qui servaient aux envoûtements, vins de messe et corpus christi, préparées avec les sucs vénénifères de poissons toxiques ou le sang et les graisses de souris, de poulets et de foetus humains, et dont, disait-on, une seule goutte suffisait à rendre fou ; elles plongeaient les victimes dans des états tétanisés ou violemment dérèglés, assoiffés de sexe et brûlés de fièvres ... La cruauté aussi, la férocité sans fin et inimaginable et au sujet de laquelle Huysmans ne nous épargne rien, la cruauté de Gilles de Rais, Barbe bleue, le premier serial killer et le premier serial fucker à faire passer tous les serial killers et serial fuckers du XXè siècle et les pires monstres de Hollywood pour des petits joueurs - sans doute, justement, parce que sa démence et sa cruauté sont profondément mystiques, elles sont d'une âme damnée et déchirée et non d'un cerveau simplement malade ou chimiquement dérèglé -, et j'ai éprouvé à nouveau une terreur enfantine, comme la première fois, à la lecture de cette scène où ...
Alors me voilà encore une fois affalé sur mon canapé, plus de projets, plus d'amants, plus d'amis. Terrassé par le vide.
" Arnold, une fois de plus, venait de s'assurer que personne ne pourrait prendre sa place. Ce n'était pas méchant, et n'avait rien de personnel. Il ne souffrait tout simplement d'aucune concurrence. Dans sa vision des choses, on passait d'un sommet à l'autre en restant justement au sommet."