Dans « La Louisiane », publié aux éditions Stock, Julia Malye nous embarque à bord de la Baleine, à la découverte d'une part oubliée de l'Histoire : l'envoi de centaines de femmes captives de la Pitié-Salpêtrière dans la région du Mississipi, au début du 18ème siècle.
Dans cet épisode de L'Intention, l'autrice revient sur les recherches historiques et l'écriture en deux langues d'un roman qui s'est imposé, dès sa parution, comme un phénomène littéraire.
Concept éditorial: Hachette Digital en collaboration avec Lauren Malka
Voix et interview: Laetitia Joubert et Shannon Humbert
Écriture: Lauren Malka
Montage, musique originale: Maképrod
Conception graphique: Lola Taunay
Photo auteur: © Astrid di Crollalanza
Extrait musical : "Myth" de Beach House, album Bloom, auteurs : Victoria Legrand, Alex Scally.
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Elle essaya d’abord de se convaincre que le pays des Illinois marquerait un nouveau départ. Mais ces huit premiers mois à Biloxi n’avaient fait que confirmer ce qu’elle soupçonnait déjà. Elle ne se réinventerait pas sur ce nouveau continent.
Elle envie la tristesse simple, abyssale de sa fille. Hier, en voyant le cercueil pour la première fois, la petite s’est mise à sangloter, et Geneviève lui a raconté une histoire pour l’apaiser. Une fois sous terre, le cercueil se transformerait à nouveau en chêne, ses planches se feraient racines. Un arbre invisible jaillirait et ses branches deviendraient des échelles, hautes et biscornues. Elles mèneraient jusqu’aux nuages
En Louisiane, certains tentent d'inventer une nouvelle vie loin de chez eux; d'autres s'efforcent de défendre ce qui leur appartient ; d'autres encore regrettent la terre à laquelle on les a arrachés.
A la nuit tombée, tandis que les plus petits les accompagnent jusqu'à leurs chambres, certains gamins se glissent dans le jardin, lèvent le visage vers le ciel assombri. Le vent bourdonne, les moustiques affolés leur piquent les paupières et une bourrasque les force à fermer les yeux. Dans l'obscurité, les enfants se souviennent des bruits inquiétants qui troublent parfois leur sommeil, cette voix menaçante de la colonie, ces sons dont l'origine leur échappe toujours. Ils se demandent alors : la Louisiane a-t-elle vraiment changé ? Changera-t-elle un jour ?
Les femmes portent malheur sur les bateaux.
Et les hommes sur la terre ferme, pense-t-elle.
Il s’agit peut-être des seules fleurs de France qu’elle touchera jamais, et elle se demande combien d’espèces lui resteront inconnues. Elle mourra avant de connaître toutes les plantes de la prairie. L’idée est fugace, inconsistante.
Quelle insensée regretterait ce qui échappe à sa vue ?
Utu »wv Ecoko’nesel pince ses doigts juste en dessous d’un bourgeon, évite les épines, tire d’un coup sec.
« Elles servent peut-être à quelque chose, dit-elle, mais nous ne le savons pas encore. »
Par un enchaînement de lointains souvenirs, je revois mes parents, un mois après mon entrée en sixième, me demander en souriant : "Comment s'appellent tes copines ?" Et moi de citer quelques personnes, jusqu'à l'auguste nom d'Agathe. A sa mention, les yeux de mon père s'écarquillent. Il quitte le salon et revient un livre à la main, "Les Maréchaux au temps de Napoléon". Je ne comprends pas, pour moi, Agathe est juste la petite fille trépidante à la queue-de-cheval blonde de la 6e2.
Pétronille ne tient pas à se rendre à la poupe du navire comme sœur Gertrude vient de le leur demander. La nonne pensait sûrement leur faire plaisir en les autorisant à dire adieu au continent, mais Pétronille n'en ressent pas le besoin. La France ne lui a jamais offert de véritable refuge.
Paris, mars 1720
Marguerite doit dresser une liste. Elle replie la lettre de l’avocat général, s’efforce de trouver une meilleure posture pour sa jambe raide. Après la pluie de ces derniers jours, la douleur enfle de ses orteils à sa cuisse, bourgeonne jusque dans les articulations de ses mains. C’est l’heure où les filles ont quitté les ouvroirs, où les voix récitant les derniers psaumes se sont tues, où les sœurs officières lui ont remis leurs derniers inventaires. Les atelier sont fermés et les artisans retirés dans leurs logements. On n’entend même plus les prisonnières des loges aux folles.
Comme tous les hivers, le système d’évacuation qui longe le mur à l’est de la Salpêtrière à débordé quand les eaux épaisses de la Seine se sont mises à couler trop vite ; la prison trempe dans une odeur aussi solide que de la boue séchée, de la fiente d’oiseau.