Paul fournel Imagine Claudine - éditions P.O.L -Où Paul Fournel tente de dire de quoi et comment est composé "Imagine Claudine" son nouveau recueil de nouvelles et où il est question de Claudine et de Chamoison, De Maupassant et Jean-Noël Blanc, du plaisir d'écrire des nouvelles et de la page blanche, à l'occasion de la parution d'"Imagine Claudine" aux éditions P.O.L à Paris le 29 avril 2024
"Le temps passe, le village change. La ville se rapproche et Claudine devient riche.
En ville, être riche c'est aller au massage, se faire livrer à manger par de jeunes cyclistes, c'est faire les vitrines chaque jour, c'est porter une robe différente par semaine, c'est aller au restaurant quand ça vous chante, c'est arrêter un taxi d'un geste de la main.
Au village, être riche consiste à cacher son argent et à s'arranger pour donner des imaginations, des envies et des jalousies sournoises à tout le monde.
Entre les deux, Claudine hésite."
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J’écris parce que je ne sais pas et ne veux pas savoir. Par conséquent « pourquoi écrire » n’est pas mon problème. Seul m’importe le comment : je ne parle que de travail. L’écriture est un atelier, et le mieux que je puisse faire est d’en tenir la porte ouverte. Le reste ne me regarde pas. Au travail.
On ne peut pas rater le café du village : il est sur la place, juste en face de l’église. Entre les deux, quatre platanes au garde-à-vous séparent l’espace des hommes de celui des femmes. Là-bas des senteurs d’encens et d’ombre, des chants étouffés et monotones, ici une terrasse, du soleil, des mots qui claquent et des odeurs de bière ou de pastis. La géographie sociale est implacable.
- Qu’est-ce que tu veux, mon vieux. Eux, ils ont été élevés dans les écoles privées. Privées de quoi, on se le demande. Pas privées de pognon, en tout cas.
Point de violence, pourtant, dans ce relief. Les monts font le gros dos, comme des chats, et se frottent contre les nuages pour chercher la caresse.
La paix revenue, il est resté dans sa ferme, seul. Comme si rien ne s’était passé. La municipalité lui a installé l’eau courante, l’électricité, et même, bien plus tard, le téléphone. Ce téléphone, il s’en est servi une seule fois : pour appeler le médecin au moment où il a senti venir son attaque. Quand le docteur est arrivé, c’était trop tard.
La lumière est frileuse en hiver. Elle ne s’attarde pas, elle rentre tôt : les après-midi glissent dans l’ombre. De loin en loin, des clartés jaunes s’obstinent. Fenêtres, maisons, lampes, familles. Un peu de vie peut-être. Pas beaucoup. Plus pour longtemps. Déjà le jour abandonne le terrain. Le ciel n’a plus de profondeur, les reliefs s’affaiblissent, les contrastes se noient, tout coule dans une boue lente.
Longue vie maintenant monsieur le président, tu n’écoutais pas, tu pensais comme je vais m’ennuyer à la Maladrerie, et ce con de toubib qui, Seigneur pardon pour le mot mais ce con de toubib avec son air par en dessous répétant mon vieux mets la pédale douce, j’étais sûr que j’allais m’emmerder. Le soir, parfois, un coup d’œil à la télévision, pas beaucoup, cette vulgarité. Mieux vaut lire. Surtout l’Histoire. L’expérience, les racines. Au moins que le repos serve à.
Comme tout centre qui se respecte, il a fignolé le décor. Murets de pierres sèches, cultures en terrasses, vignes agrippées au flanc d’une colline, vergers perchés, labours accrochés à des versants qui effraieraient une chèvre. Mais ce n’est pas par souci d’élégance. C’est par besoin, et par besogne ; Depuis longtemps, tout ici a été bâti de main d’homme et de peine d’homme.
Si c’est un slow, des garçons sifflent. D’autres ont un petit sourire de côté. On s’enlace. On piétine lentement. On sent sous ses doigts des parties inédites d’un corps. Les parfums entêtent.
Et vers la fin du bal un couple qui s’éloigne. Celui-ci ou un autre. On se tient par la main. On n’ose pas parler. On pense à ce qui. Ou à ce que. On sent une chaleur dans le ventre. Et une faiblesse étrange qui empêche de marcher vite. Le silence.