"Une lecture fascinante remplie de beauté, de délicatesse et de finesse. Un hommage à ces femmes invisibles, anonymes et effacées. Mais derrière la banalité apparente se cache souvent une existence essentielle". Gérard Collard.
Isabelle Monnin retrace la vie minuscule d'Odette Froyard, sa grandmère. Au fil des pages, les souvenirs cèdent la place à l'enquête puis à la fiction, pour restituer la destinée de cette femme en apparence sans histoire. de la ville de Gray pendant la Première Guerre mondiale aux camps de la mort, en passant par un mystérieux orphelinat franc-maçon dans les années 1930, Odette Froyard en trois façons offre une traversée du siècle et explore la part romanesque de toute existence.
À retrouver en librairie et sur lagriffenoire.com
https://lagriffenoire.com/odette-froyard-en-trois-facons.html
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Par quels sentiers ruissellent les souvenirs ? Vient à Michelle la mémoire d'une autre main - détourne les yeux de sa chair de poule d'enfant, ne pas confondre les peaux. C'était de l'autre côté, sur la rive ouest, là où le soleil se couche. Ils s'y installaient l'été avec les copains, mobylettes près des arbres, plongeons depuis le plus haut rocher, maillots de bain sous les pulls, pommes de terre dans l'aluminium, nuits blanches autour d'un haut feu, Californie au bord du lac.
Il a soixante-neuf ans, cet âge où les hommes deviennent vulnérables, leurs forces s'en vont, ils ont peur de tomber de l'échelle, de ne plus pouvoir se défendre si on les attaque, de perdre la vue, les dents, la vie. Il a l'âge émouvant où l'on se fait une raison. Et puisque je le lui demande, il ne voit pas pourquoi ne pas me raconter sa vie. A côté de nous, à moins que ce ne soit grimpé sur ses épaules, s'est installé le petit garçon qu'il était. Nous reprenons.
" Autour de la table s'assoient les années ; sur leurs genoux, bien droit se tiennent les souvenirs."
Raymond la rejoint le premier, son corps d'arbre centenaire. Il sourit, peut-être. On ne sait pas. Sa bouche est en permanence un peu ouverte, personne ne veut imaginer qu'elle a donné des baisers, avant. Il ne dit plus rien depuis longtemps.
Comme papa travaille, je passe mes vacances chez mamie Poulet. Le matin je vais au cheval. Je monte Pacotille, elle est douce et forte, elle comprend tout ce que je lui dis, même les secrets qu'on n'entend pas
Où vont les secrets quand il n'y a plus personne à qui les cacher ?
Nos peaux sont des enveloppes qui entourent ce que nous sommes vraiment et qu'on ne verra jamais.
L’inconscient essaye parfois de repriser des accrocs anciens dont il n’a nulle connaissance.
Si on le veut vraiment, il est assez facile de pleurer sans que personne le voie. Il suffit de bien contrôler sa respiration. Mon père n'y arrive pas trop ; ça le prend surtout quand Hervé Vilard chante " Nous, c'est une illusion qui meurt / d'un éclat de rire en plein cœur / Une histoire de rien du tout / comme il en existe beaucoup". Mon père au volant, faut le voir, grosses larmes, un de ces bruits, renifle, coule dans la bouche et tout et tout. Je préfère " Ti amo, tiamotiamotiamotiamotiamotiamo - amo - et je m'enlace comme si je dansais un slow.
"Alors les photos de famille restent là, dans leurs petits cercueils de carton, et on peut les oublier, elles sont comme des croix plantées, elles appellent le plaisir mélancolique. Quand on ouvre le carton, aussitôt c'est la mort qui saute aux yeux, et c'est la vie, toutes les deux nouées et enlacées, elles se recouvrent et elles se masquent."
Hervé Guibert, L'image fantôme
Certaines choses ne s'écrivent que lorsque personne ne peut les lire.