"Les Cinq Doigts de Dieu n'y vont pas de main morte" compte parmi les premières uvres de Claude Picq, plus connu sous le pseudonyme de Cicéron Angledroit.
Dans un coin du bureau, Alexy avise une petite télé et trouve la télécommande. Ce gosse, comme tous ceux de sa génération, est en empathie totale avec n'importe quel type de télécommande, de tablette ou de smartphone. J'en suis envieux. Ce talent m'échappe mais c'est pas pour ça qu'on me paye. Moi c'est l'humain. Pas besoin de piles.
Je suis installé devant une connerie où des boulangers font de la boulangerie. Et c’est sensé passionner les masses populaires qui rentrent du taf après une journée à faire ce qu’elles ont à faire. A quand le concept du « Meilleur Mécano » avec concours de changement de joints de culasse et spécialité des deux concurrents : la surfacturation pour le candidat A et le remplacement de pièces inutiles pour le candidat B ? La télé n’est plus ce qu’elle était. Au moins, avec Bonne nuit les petits, on savait qu’il était l’heure d’aller se coucher. Maintenant on vous endort le cerveau sans prévenir.
- Vous avez raison, ça fait beaucoup de coïncidence militaires tout ça. Je savais qu'à la retraite, on leur trouvait une planque, aux bidasses. Souvent dans les administrations ou dans les grosses entreprises liées à l’État. Chez Leclerc, ça ne me serait pas venu à l’idée. Pourquoi pas, après tout.
Raoul, le patron du café. Vous ne saviez pas qu'il s' appelait Raoul ? Moi non plus, je viens de le décider. Avantage de l'auteur sur le lecteur.
Cicéron Angledroit… ça vous épate hein, ça, comme nom ? Et pourtant, ça fait 35 ans que je me le traîne. "Angledroit" ils n’y pouvaient rien, mais "Cicéron", quand même ! Je leur en ai voulu longtemps. Enfin quand je dis "leur" je devrais dire "lui", car ma mère, quand je suis né, elle parlait à peine le français. Alors ce genre de jeu de mots lui passait un peu au-dessus. Lui, mon père, ce devait être un rigolo… ou, du moins, devait-il le croire. Ma mère, il l’avait ramenée de je ne sais quel voyage en Yougoslavie. Probable qu’il l’avait achetée comme on achète un souvenir. Une femme, vous parlez si ça va bluffer les potes, et belle avec ça ! Bien sûr elle ne parlait ni ne comprenait notre belle langue de Shakespeare V.F. mais, au moins, quand elle l’ouvrait, il pouvait imaginer qu’elle le félicitait. Il a quand même attendu mes 18 mois et nos premiers balbutiements en français à ma mère et moi pour nous laisser quimper. Juste le temps de me déclarer à l’état civil sous ce prénom débilisé par son nom.
Dans les cafés, les habitués se repartissent par strates horaires et se croisent rarement. Des retraités : deux pêcheurs, dont un rougeot avec un clébard comme on n’en trouve que là-bas, tout pelé et ne ressemblant à rien, et un vieux mareyeur qui ressasse les « de son temps ».Attablées, deux mémères décolorées, maquillées et apprêtées comme pour des funérailles, minaudent avec leur accent du ch’nord. Toutes les deux côte à côte sur la banquette avec, entre elles, un corniaud impossible qui doit être atteint de la maladie de Parkinson. Les trois loustics parlent haut et fort pour se donner en spectacle. Les spectatrices font mine de ne pas les calculer mais les regards en disent long. Bizarre parade nuptiale autant matinale que maritime qui se soldera, comme chaque matin j’imagine, par un retour chacun chez soi à l’heure gravée dans la routine quotidienne de ces inactifs.
Paul, ma mère et moi on profitait de la vieille Peugeot et de son chauffeur pour nos virées dominicales. ... Les ballades, c'était Orly. Au bout des pistes, au début des rêves. Un coup d'un côté, pour voir les avions décoller. Un coup de l'autre, pour les voir atterrir.
Rassurez-vous, je ne vais pas vous raconter du rien pendant longtemps. N’est pas Modiano qui veut. Mais je n’aime pas laisser des trous dans mes récits. C’est ainsi.
J’ai tout de suite compris pourquoi le quai est désert ce soir, que le « François 1er » est vide et que « l’Univers » est carrément fermé. Inhabituel pour ces deux bars qui bossent toujours tard. C’est rigolo mais il y a les « François 1er » et les « Univers », un peu comme les « Beatles » et les « Rolling-Stone ». C’est l’un ou l’autre, rarement les deux et ça n’a pas dû beaucoup changer depuis, même si je ne l’ai pas vérifié.
Pour moi, une vie réussie c'est quand t'as fait plein de trucs et, qu'à la fin ... t'en as marre. Et là, basta, tu te tires sans regrets.