Les gens sont aussi cons pendant une apocalypse que d'ordinaire.
Je n'ai pas besoin de faire un dessin : des zombies solidaires, qui se meuvent avec aisance et qui, en plus, taillent une bavette, nous autres humains sommes drôlement mal barrés !
Le sang de ses repas de la veille la recouvre, pas assez toutefois pour m'empêcher de déchiffrer l'inscription sur son teeshirt : Je suis végane et je t'emmerde.
Un malheur en appelant un autre, voilà qu'un impérieux besoin de déféquer vient accentuer mon avilissement. Je ne cherche pas à résister, mes selles s'écoulent et se massent dans ma culotte. Avec une bravade très artificielle, je lance à mes compagnons: "Vous savez quoi, les gens? Nous voilà tous plus ou moins au même niveau maintenant.
- Pistache, murmure un zombie dans le noir."
"Au fait, maman, j'ai oublié de te dire, demain il y a un goûter à l'école. On a nos correspondants de Rouen qui viennent passer la journée avec nous. Moi, j'ai dit que j'amenerais un gâteau."
Hein ? Un gâteau ? Ma première réaction a été de lui dire d'aller se faire voir avec son gâteau. Mais je n'ai rien dit, bien sûr, en bonne mère. Il a ajouté :
" un joli gâteau, décoré, ça serait bien", du ton définitif qu'un milliardaire habitué à ce qu'on exécute ses moindres désirs emploierait en réclamant une bouteille rarissime au sommelier d'un restaurant. Sans appel.
J'aimerais bien pouvoir me faire croire à moi-même que je ne sais pas comment j'en suis arrivée là, mais ce n'est pas le cas. Je le sais parfaitement, et mon reflet dans la vitrine, image imparfaite et tremblotante d'une fille toute simple qui a l'air de se demander ce qu'elle fout là, avec cet énorme couteau à la main.
Chaque corps est consciencieusement vidé, nettoyé, dépiauté, amené à l'état de squelette. Je ne sais pas s'ils agissent ainsi en raison d'une faim immense ou s'ils comprennent qu'il n'y aura pas de doggy bag et ne veulent pas gâcher.
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On dit que l’amour est aveugle. Je le vois plutôt comme un charlatan nous poussant à observer le monde à travers un voile perfide, qui édulcore et embellit. La réalité se révèle trop laide pour être regardée sans filtre. Cela nous arrange bien au bout du compte.
A mon avis, reprocher aux Hommes de manger de la viande, c'est comme blâmer un texan qui s'enfile une bonne Bud fraiche le vendredi soir après une semaine de boulot. Ou critiquer un zombie qui salive devant un cuisseau d'humain. On peut ne pas être fan du concept, ils suivent leur nature profonde et obéissent aux impératifs instinctifs de leur organisme.
Cela dit, tout comme je ne forcerais jamais un végane à me regarder me délecter d'une assiette de tranches de bacon croustillant, j'aurais aimé ne pas assister au repas des zombies.
Le bus sent cette odeur indéfinissable, mélange de peaux mal ou rarement lavées, de fringues de mauvaise qualité supportant mal l'humidité, la puanteur de trop de monde entassé dans un petit espace. La femme à côté de moi sent les épices, une promesse de lendemains ensoleillés, de déjeuners languissants, les paupières lourdes. Elle évoque la poussière des chemins, l'été, quand une saine transpiration trace des rigoles sur les visages hilares des gosses.