♫ C'est un jardin.... extraordinaire....! ♬ ♬
Ici, dans ce cinquième volume du cycle des Rougon-Macquart, La faute de l'abbé Mouret, si l'on n'y prête guère attention, à première vue on pourrait y voir un Émile
Zola reconverti en botaniste.
Que nenni ! Ici c'est tout simplement son talent de peintre de l'âme humaine, du désir et de l'appel de la chair aussi, qu'il déploie avec gourmandise et volupté, certes parfois dans un symbolisme qui peut paraître outrancier.
Contre toute attente j'ai aimé ce cinquième opus.
Je m'attendais au pire, ayant lu et apprécié quelques critiques bien étayées de quelques amis d'ici, disant que le malheureux
Zola s'était égaré, peut-être même fourvoyé, au mieux dans une scène bucolique, naïve et désuète tout droit sortie d'un tableau du Douanier Rousseau, au pire dans un délire horticole. Sans doute ont-ils un peu raison, ou plus exactement, on peut le voir ainsi et on peut aussi s'accorder sur le constat que
Zola n'a sans doute pas la main verte... J'y allais donc presque à reculons... Mais voilà, je suis parvenu à lire ce livre et figurez-vous que chez moi, ça a plutôt bien fonctionné... Ah ! Les mystères de la lecture... Allez comprendre !
Si j'en crois l'érotisme floral qui m'a été donné d'effeuiller durant un florilège de pages enivrantes et voluptueuses, je me demande si je ne devrais pas désormais fréquenter davantage les forêts et les parcs plutôt que les librairies et les médiathèques ! Et pourquoi pas les jardineries tant qu'à faire, histoire de m'initier au plaisir de la terre, de la prendre dans les mains, de la sentir, effleurer les pétales et les pistils, m'enivrer des effluves des fleurs les plus rares, de leurs fragrances inavouées, odeur de musc et d'aurores printanières, deviner sous l'échancrure des feuillages des choses incroyablement douces et surprenantes... Cela dit, les deux sont totalement compatibles...
Plus sérieusement, là où certains de mes amis avaient raison, c'est bien sûr de rappeler un point essentiel : le style incomparable de
Zola, son génie narratif, sans pour autant perdre de vue le dessein qui anime le projet littéraire du cycle des Rougon-Macquart, celui de peindre une histoire naturelle et sociale sous le Second Empire. Il me semble qu'ici
Zola n'a pas dérogé à la règle qu'il s'était établie. Certes ce roman n'est sans doute pas celui que je préfère de la série, il n'a pas le souffle social qu'on peut saisir dans l'Assommoir, ni dans Germinal. Il n'est pas non plus dans le registre de la tragédie populaire qu'on peut rencontrer dans La bête humaine. Mais ce roman est une oeuvre intéressante et atypique qui, de mon point de vue, trouve écho à cette force qui porte l'écriture du destin des Rougon-Macquart. Je vais tâcher de vous en convaincre un peu...
Alors, reprenons nos esprits et revenons à l'histoire...
Nous sommes dans le sud de la France, à quelques lieux de Plassans, ville imaginée par
Zola pour accueillir la saga des Rougon-Macquart. le jeune abbé Mouret vient d'être nommé prêtre de la paroisse des Artaud. Orphelin depuis le terrible drame relaté dans le précédent récit de la conquête de Plassans, il s'installe avec sa petite soeur Désirée dont il a désormais la charge, fille simplette qui va vite s'attacher aux animaux de la basse-cour dans une candeur touchante. Il a à son service une servante, femme du pays, aussi fidèle que têtue, la Teuse, j'ai découvert dans cette femme un magnifique personnage haut en couleur.
C'est un paysage aride fait de pierres, de vignes et de landes, un coin de terre ou les habitants sont aussi secs que le sol. Avec médisance, on ne serait pas loin de penser que le vin tiré ici doit ressembler à une horrible piquette. Au milieu de ces gueux dont on dit qu'ils sont sans âme, l'abbé Mouret se démarque de son homologue le Frère Archangias, qui fustige sans arrêt la trivialité de la paysannerie locale et en particulier celle des jeunes filles dont il ne voit que lubricité et fornication parmi les champs ; l'abbé Mouret aspire, quant à lui, à une tendresse pure, une candeur divine, se gardant de prendre ces gens simples en mépris. Il voue par ailleurs une pleine dévotion à l'endroit de la vierge Marie, au grand dam du Frère Archangias qui trouve cette approche de la religion un peu trop féminine à son goût.
Un jour, son oncle, le docteur Pascal, le sollicite pour porter l'extrême-onction auprès d'un vieil homme, il fait ainsi la connaissance du vieux Jeanbernat, personnage misanthrope, un peu philosophe, totalement anticlérical, mais ce dernier n'est pas encore prêt de passer l'arme à gauche. Il vit avec sa nièce la toute jeune Albine, enfant presque sauvage, au milieu d'un domaine étrange et semblant coupé du reste du monde, propriété abandonnée à la nature, le Paradou.
C'est à cet endroit que, quelques temps plus tard, le docteur Pascal, dépêché pour soigner son neveu pris de fièvres, aura l'idée inspirée de l'amener en convalescence. La jeune Albine saura s'occuper de lui...
Voilà, le décor champêtre est planté, celui qui crée un hiatus entre quelques lecteurs que nous sommes,
Zola renouant ici avec le mythe du jardin abandonné. Ce lieu est un personnage à part entière, presque le personnage central, sorte de transposition du jardin d'Eden, convoquant une joie pure, une nature ivre, terrain d'apprentissage d'une forme de vie buissonnière et d'amour sans entrave, lieu de passage des gestes innocents à ceux qui le sont moins...
Bien sûr il y a cette seconde partie du récit qui apparaît comme une parenthèse surprenante au premier abord.
Zola, pour notre plus grand plaisir, convoque avec sa palette de peintre la nature dans tous ses sens. C'est une débauche de couleurs, d'odeurs, de formes les plus suggestives, la nature ici est lascive, elle s'offre à nous, c'est une étreinte de la terre, une débauche de feuillages, il y a une puissance d'évocation, quelque chose de charnel et de torride, je ne regarderai plus un parterre de chrysanthèmes, d'ancolies ou de campanules comme avant...
Mais, me direz-vous, où l'auteur veut-il en venir ?
Car il y a un drame qui sous-tend cela...
Si cette seconde partie du roman fait autant contraste avec les deux autres qui la tiennent, permettant à l'abbé Mouret de redevenir Serge, c'est ici, je pense, que le fameux mythe du jardin d'Eden prend tout son sens, invitant aux choses premières, à l'essentiel, un territoire protégé du reste du monde, qui fait de la femme l'égale de l'homme.
N'est-on pas d'ailleurs davantage sur le mythe de la transformation, de la tentative de renaître, ce jardin faisant office de véritable révélateur... La faute revient peut-être alors à ce rendez-vous de verdure, pardi !
Chers lecteurs, n'avez-vous pas été saisi qu'à aucun moment, il n'est question de la foi religieuse de l'abbé Mouret dans cette seconde partie ? Tout lui semble oublié, car justement, depuis ses fièvres, il est victime d'une forme d'amnésie qui lui a permis de se délivrer de son habit sacerdotal et de tout ce qui va avec. Perdant sa lucidité ecclésiastique, l'abbé Mouret n'existe plus, Serge n'est plus l'abbé Mouret, il en est totalement délivré. Il redevient Serge, celui d'avant. Cette amnésie crée peut-être cet univers éthéré où il n'est plus dans son état normal,-où peut-être le redevient-il tout au contraire justement ! Peut-être regardons-nous alors l'invitation de ce jardin avec son regard dépouillé de tout ?
N'oublions pas d'où vient l'abbé Mouret : de ce récit précédent, La conquête de Plassans, où le jeune enfant Serge fut enrôlé, quasiment endoctriné vers le ministère religieux par l'abbé Faugas à la faveur d'une première fièvre. C'est toute la dégénérescence de la lignée infernale des Rougon et des Macquart qui est ici dite en filigrane...
Dans cette logorrhée autant bucolique que catholique, où le trait est bien appuyé, j'y ai vu une charge prodigieuse contre la religion et ses serviteurs, sa domination, ses dogmes, ses croyances illusoires et ostentatoires, son prosélytisme... et peut-être aussi un magnifique plaidoyer féministe...
Voilà, je vous livre ici une vision totalement subjective de cette lecture...
Mais peut-être ne faut-il y voir qu'une simple chronique rurale, sensuelle et triste, aux accents lyriques ?
En tous cas, me voilà désormais remis en selle pour la suite du cycle des Rougon-Macquart !