Le roman d'un pianiste : L'impatience de vivre

Un jour est arrivé dans notre souterrain un objet étonnant, un pianino - nom russe du piano droit - en acajou, orné de bougeoirs. C'était le piano de la famille, conservé par mon oncle Stalino qui nous l'avait rendu précieusement. Il contrastait avec tout ce que nous possédions jusque là, comme venu d'un autre monde. J'adorais le toucher et le regarder. La couleur de l'acajou, " bois rouge " comme on le nomme en Russie, était magnifique. J'étais intrigué par les bougeoirs dorés, un objet de luxe dont je ne comprenais pas l'utilité, et surtout par cette inscription mystérieuse à droite du clavier " Becker, fournisseur de sa Majesté le Tsar ". Qui était sa majesté le Tsar? Le pianino m'attirait irrésistiblement. Ma mère dans sa jeunesse avait pris, comme bien des enfants, des cours de piano. Elle était trop occupée désormais pour en jouer, mais m'apprit à retrouver les notes sur le clavier. Assis au piano, les jambes trop courtes pour atteindre les pédales, j'essayais d'imiter les mélodies que j'entendais derrière le mur. Miraculeusement, quelquefois, le violoniste à son tour répondait. Ce dialogue improvisé était devenu une source de joie intense mêlée à la crainte qu'il ne se reproduise pas. Mais le jeu recommençais....