J'ai découvert récemment
Julie Proust-Tanguy avec Japon! Panorama de l'imaginaire japonais, formidable ouvrage pour tous les passionnés de l'archipel. Je la retrouve ici avec un essai un peu plus ancien,
Sorcières! le sombre grimoire du féminin (l'auteure, ou son éditeur, doit bien aimé les points d'exclamation avant sous-titre).
En cinq parties,
Julie Proust-Tanguy déroule l'histoire de
la sorcière, de son image et de ses perceptions à travers les siècles. Ainsi procède-t-elle à un découpage chronologique : l'Antiquité, le Moyen Age, l'époque moderne, le XIXème siècle et enfin le XXème et le début du XXIème siècle.
Dans chaque chapitre, l'auteure retrace la vision de ce personnage dans l'imaginaire collectif. Ainsi tantôt guérisseuse grâce à ses connaissances des simples et autres éléments de la pharmacopée naturelle, sa singularité conduit autrui à la voir comme empoisonneuse (il n'est parfois que question de dosage de certaines plantes après tout), envoûteuse et charmeuse. Sous l'Antiquité gréco-romaine, elle revêt ces divers vêtements sous la plume d'
Homère, d'
Ovide et de bien d'autres. Et de présenter les célébrissimes magicienne de ces époques reculées connues pour leurs pouvoirs et leur cruauté : la Circé de l'Odyssée ou encore Médée, qui trahit ses père et frère pour les beaux yeux de Jason chef des Argonautes et qui, quand celui-ci se lassa d'elle, massacra les enfants qu'elle avait eu de lui. Il n'y a guère de pas entre ces exemples extrêmes et une méfiance généralisée vis-à-vis des femmes... surtout quand ce sont les hommes qui écrivent.
Le Moyen Age, avec l'Église chrétienne omniprésente, diabolise
la sorcière en en faisant un être démoniaque et qui travaille pour le Malin, le rejoignant au cours de sabbats épouvantables et sacrilèges. Pourtant, si l'Inquisition et ses acolytes font preuve d'une inventivité sans limite en matière de tortures pour dénicher sorcières comme hérétiques, la période médiévale n'est pas celle des grands bûchers de sorcellerie comme on pourrait le croire. Ceux-ci surviennent principalement pendant les XVIème et XVIIème siècles. Époque de luttes fratricides de plus entre catholiques et tenants de la Réforme. A noter d'ailleurs que les régions où les bûchers de sorcières furent les plus nombreux se situent souvent sur ce qu'on nomme les frontières de catholicité, c'est-à-dire là où les communautés protestantes sont les plus fortes (ainsi du duché de Lorraine par exemple).
Si le XIXème siècle, avec l'éclairage des Lumières, délaisse les chasses aux sorcières, le personnage devient un sujet littéraire et artistique de choix. Jusqu'au livre majeur de
Jules Michelet,
La Sorcière, qui prend à coeur de dénoncer les turpitudes ecclésiastiques du Moyen Age envers ces femmes. Car au fond qui sont-elles ces si inquiétantes adoratrices du démon? Souvent rien moins que des femmes vivant seules, en marginales, disposant parfois d'un savoir ancestral de guérison, ou aigries par le rejet de la communauté villageoise. Ou encore une femme un peu trop indépendante pour les moeurs de l'époque et qui paie cet état, dénoncée par jalousie, superstitions ou vénalité. Ensuite forcément, entre arrachage d'ongles, tisons ardents appliqués en divers endroits du corps, supplice de l'eau et autres inventions cruelles, qui n'avouerait pas tout ce qu'on lui reproche et même plus?
Julie Proust-Tanguy éclaire chaque partie par des arguments qu'elle appuie sur des témoignages ou des références à d'autres ouvrages littéraires ou d'historiens. Elle fournit nombre d'exemples pour chaque période et montre comment la culture, via romans, pièces, cinéma, art pictural ou encore la chanson, utilise l'image de
la sorcière. Qu'elle fasse peur ou qu'elle soit la représentante des forces de la nature dans l'esprit wiccan (mouvement ésotérico-féministe recourant aux forces des éléments pour leur magie, né dans les années 1960 aux États-Unis), qu'elle soit un puits de savoir sorcier comme Hermione Granger ou une dangereuse vamp comme dans Dark Shadow de
Tim Burton,
la sorcière, à l'instar du vampire, du fantôme, etc, est devenue un incontournable de notre culture populaire, souvent stéréotypé (les verrues, le chapeau pointu qui ne date finalement "que" du XIXème siècle mais est définitivement ancré dans l'esprit collectif), parfois sources d'humour (les soeurcières de
Terry Pratchett) mais bien présent.
L'essai de
Julie Proust-Tanguy se lit comme un roman tant son écriture et ses propos sont passionnants et bien amenés. Les nombreuses références qu'elle donne permette soit de se replonger dans livres et films de fiction, soit de creuser le sujet plus avant grâce aux autres travaux d'historiens et de sociologues du folklore, des superstitions et des mentalités autour du thème.
J'ai déjà hâte de pouvoir retrouver le style dynamique et élégant de l'auteure sur d'autres sujets. Son ouvrage sur la Rome antique me tente tout particulièrement.