Un premier roman ou un premier texte publié avec en précision sous le titre « roman » ? Un objet littéraire travaillé, sans phrase percutante, sans guère de fond mais avec de la forme, difficile de le nier. Des wagons de couleurs et leurs nuances infinies ; du vocabulaire précis pour conduire vers quelque chose d'une minceur insaisissable ; des recherches certaines et visibles qui comblent le vide du propos sur la vie du grand-père maternel de l'auteur qui se trouve détenteur d'un carnet de poésies, d'un livret militaire, d'éléments épars d'une vie terminée qu'il me sert le matin alors que je bois mon café au lait lové dans mon fauteuil cocon beige criquet. Une vie dérisoire : blessure au genou lors de la première guerre mondiale, claudication, carrière militaire qui continue, mariage avec une vicomtesse rencontrée à Canne. Ce grand-père officier n'ayant pas, semble-t-il, raconté ses palpitantes péripéties guerrières et amoureuses, son petit-fils le fait avec précisions mais sans émotion. Normalement j'aurai dû vomir mon café lors de la lecture des premières pages sanguinolentes, rien ni fit, j'étais loin des tranchées, des corps disloqués, du sang et des viscères dégueulant de ventres étripés par des baïonnettes ; loin car l'auteur, du fait de son écriture un zeste ampoulée, n'a pas réussi à m'y conduire. À la mort de mes parents, la correspondance entretenue avant leur mariage arriva dans mes mains ; j'ai vécu la lecture des premières lettres de cette correspondance comme un viol ; je violais une intimité qui ne m'appartenait pas, qui ne m'appartiendra jamais ; j'ai laissé mon frère les emporter. Les plus beaux journaux intimes possèdent la couleur et la taille d'un petit tas de cendres.
« On sert des huîtres avec leur lac gris violacé et leur nacre arc-en-ciel, le filet de citron se disperse pour former un lait très fin dans l'eau iodée. La marbrure blême qui s'étend au ralenti empoisonne le coquillage ainsi qu'un opiacé. La membrane cillée se rétracte tandis que
Marie-Thérèse le porte à sa bouche rosée et l'avale. Les sucs lentement le dévorent. Après ils mangent du chevreuil à l'aubépine avec du fenouil à la menthe et des groseilles acides. Ils boivent des vins très clairs, des crus mûris au soleil des coteaux de Bourgogne, élevés lentement. Ils se dévorent du regard, observent la cire s'écouler des bougies et quand
René-Frantz se lève, comme il s'avance avec empressement pour saisir
Marie-Thérèse à la taille, il fait tomber deux verres Baccarat » (page 71) Les huîtres possèdent effectivement des cils vibratiles sur leurs branchies, dans ce cas on écrit « ciliée » ; ciller et son participe passé féminin cillée concernent un clignement, à moins que l'huître n'ait cligné de sa lame branchiale ciliée avant d'être assimilée par
Marie-Thérèse. Mais quelle était la couleur de la nappe brodée dans ce salon Louis Machin XII où ils s'empiffrèrent d'huîtres et de chevreuil ? Je connais bien cette technique d'étirement du propos inutile pour gagner des lignes dans un texte ; je l'utilise ici pour atteindre le nombre de caractères nécessaires.