J'ai choisi de lire "Je rêve que
Marguerite Duras vient me voir" pour ce très beau titre de roman. Il a été écrit par
Isabelle Minière que je découvre. Elle est psychologue et cela n'est pas surprenant car on retrouve le face à face du psy et du narrateur dans ce roman. Et elle sait donc de quoi elle parle.
Je dirais d'abord que l'histoire de Gaëtan se lit assez facilement malgré les superpositions de mises en abymes. Il est professeur de français et dit être un écrivain qui n'écrit pas ou un « n'écrit-rien » parce qu'il est en manque d'inspiration.
Gaëtan donc, le narrateur et personnage principal, ne rêve pas de rencontrer
Marguerite Duras mais rêve d'écrire. de là l'ambiguïté entre la personne et ses intentions.
En fait, je pense qu'au départ Isabelle minière fait écho au texte de
Marguerite Duras sur ce qu'est un écrivain. D'ailleurs elle fait référence à son livre "Écrire".
On a souvent demandé à
Marguerite Duras pourquoi elle écrit. Elle a eu l'occasion de s'exprimer sur le sujet. Je reprends ses propos. « Cette question m'est posée à chaque interview et je n'ai jamais trouvé de réponse satisfaisante. Tout le monde éprouve l'envie d'écrire, non ? La seule différence entre les écrivains et les autres est que les premiers écrivent, publient, et que les seconds ne font qu'y penser. »
À une autre occasion elle dit : « A la question « Qu'est-ce qu'écrire ? », personne ne peut répondre à la place de personne. Chacun répond pour lui. Pour moi, voici ce que je vois : je vois que la différence entre les écrivains et les non-écrivains, se situe au dernier stade du processus créateur : le stade matériel. Je vois que tout le monde écrit. Que ceux qui n'écrivent pas écrivent aussi. Que la fonction écrivante de l'homme est une donnée naturelle, à l'instar des autres, et que c'est uniquement au stade de l'exploitation systématique de cette donnée que se situe la différence entre celui qui écrit et celui qui n'écrit pas. »
Elle dit aussi : « Je vois qu'en chaque homme la conversion du réel vécu en un réel recréé a tous les caractères de la fonction écrivante apparente. »
Et là, on est en plein coeur du thème de ce roman car tout se bouscule dans la tête de Gaétan, le réel et l'imaginaire. C'est un auteur devant la page blanche qui souffre d'une sorte de trouble car quand il entend des mots, il les voit écrits. Il faut dire qu'il aime les livres depuis qu'il est tout petit. Mais lorsqu'à 10 ans il a dit à sa mère qu'il voulait devenir écrivain elle s'est moqué de lui. Comme quoi, il est important de ne pas frustrer les vocations précoces !
Gaëtan est vraiment perturbé d'autant plus qu'une nuit, il a rêvé que
Marguerite Duras est venue lui dire "Si tu veux écrire, mon grand, écris.
C'est tout ce que je veux te dire. Simplement le faire..." Alors cela l'a motivé mais ce n'est pas si facile. Et puis, son ami Augustin lui conseille un psy pour mettre un peu d'ordre dans tout ça et pour l'aider à passer de l'écrit-rien à l'écrit-quelques-choses.
Il se met donc à la tâche et commence une histoire qui semble assez délirante mais qui s'inspire de sa réalité. On découvre au fur et à mesure qu'il vit avec des personnages qui ressemblent à ses proches. Car il y a un enchevêtrement permanent entre la vie de Gaétan et ce qu'il écrit : l'histoire de tante
Agatha (qui est d'ailleurs un personnage et le titre d'un livre de
Marguerite Duras), et de son chat Natacha. Mais Natacha c'est aussi l'avatar de Noémie, sa fiancée tuée dans un accident de la route. Il appelle cela le fait divers ou le fait d'hiver. Les personnages du livre que Gaétan est en train d'écrire ont tous un double réel : tante
Agatha c'est sa tante Aglaé, Gaël c'est Gaëtan donc lui-même etc. Dans cette mise en abyme, il pense que ce qu'il écrit ne ressemble à rien et qu'il n'a pas de sujet mais on voit se construire son texte. Et plus le texte se construit, plus la réalité prend le dessus.
Cette construction est originale bien qu'elle prête parfois à confusion mais on s'attache aux personnages. Et puis, je ne dévoilerai pas la fin mais
Marguerite Duras devrait être contente.
Ce livre m'a été offert par les éditions du Jasmin dans le cadre d'une opération masse critique et je les en remercie.