Je ne peux pas entièrement me mettre à la place d'un jeune lecteur, mais j'ai trouvé ce roman drôle.
La description de la ville est cocasse : Wellmington, ville-arrosoir où la pluie tombe sans cesse, à tel point que l'on met les jardins sous cloche pour pouvoir en profiter. Cette solution n'est pas sans charme ni poésie.
Le personnage de Lizzie a la curieuse manie (sans que cela soit glauque, rassurez-vous) d'envisager toutes les morts possibles, voire d'évoquer l'ennui que cela serait de se débarrasser du cadavre d'Archie.
A vrai dire, d'emblée, l'auteur prend le parti de la dérision, au sujet de la lecture comme de la mort : aah, un bon vieux bouquin, ça tient les marmots occupés, ça leur permet de voyager (à moindres frais), c'est-y pas génial ? Ça vaut bien quelques « accidents tragiques », puisqu'on leur fout la paix. le décalage me paraît tout à fait adapté aux enfants tel qu'évoqué dans la narration.
En outre, la situation de départ est un contrepied bienvenu : on INTERDIT la lecture à Archibald, tandis qu'il en meurt d'envie ! Voilà qui change.
Le roman illustre très bien la métaphore du livre passionnant qui vous happe : nous entrons concrètement dans le Conte de Kristo, le livre qu'Archibald découvre, certes à travers les lignes qu'il lit, mais aussi par divers effets visuels tels que des gouttes d'eau qui effacent le texte, ou des pages qui se tournent et en changent l'orientation.
Nous pénétrons également dans les mécanismes littéraires de manière très concrète : la fonction ou l'identité des objets, des personnages est inscrite sur leur corps (« le héros »). Quand une page est tournée, accompagnée d'une ellipse, cela bouleverse l'espace-temps d'Archibald, secoué comme dans un tambour de machine à laver. Un immense crayon au bruit duquel il faut s'habituer mime le temps d'adaptation de tout lecteur à la narration qu'il découvre : ingénieux.
Par ailleurs, Lizzie, en grande lectrice infiltrée, commente le déroulement du récit car elle en connaît les ficelles : l'archétype du personnage « ultraromantique », le rôle du méchant… En tant que lectrice aguerrie moi-même, cet aspect métatextuel adapté aux enfants m'a interpellée et plu.
Pour ce qui est de l'intrigue en elle-même, elle se devine rapidement. le Conte de Kristo, dans lequel pénètrent les enfants, est un miroir enfantin et simplifié du Comte de Monte-Cristo d'
Alexandre Dumas. Pour autant, je suis curieuse de connaître la suite des aventures d'Archibald, et surtout… la manière dont cela sera narré ! L'histoire de sa famille et du pouvoir qui est le leur ne fait que commencer, j'espère.
Enfin, esthétiquement, c'est un très bel objet : la couverture, les illustrations, le placement du texte... Plusieurs polices sont utilisées ; je me pose cependant la question de la lisibilité de l'une d'entre elles, malgré le charme de l'idée.
Petit bémol (négligeable, mais dommageable), une erreur m'a sauté aux yeux, page 97 : « Je fais toujours en sorte que le conte de Kristo se terminent toujours de la même manière ». Pourquoi « se terminent » ?