J'aime la non-fiction quand elle agit comme un révélateur de notre société - au sens photographique du terme, c'est-à-dire comme un produit chimique qui rend visible l'image photographiée latente. C'est exactement ce qui se passe avec ce texte de
Marie Kock : elle prend appui sur sa situation de célibataire endurcie, ni épouse ni mère, pour questionner les normes sociales ainsi remises en cause. Nous nous engouffrons donc à sa suite dans la "faille" que représente la
vieille fille pour déconstruire (c'est à la mode) tout un tas de diktats pesant sur la femme.
Et ça décape !
La vie de couple épanouie ? Beaucoup de mensonges. le mariage hétérosexuel? Une "histoire de peur du vide et de solitude", une combine pour échapper au déclassement social. L'envie de faire l'amour? Arme de la société de consommation. Les enfants qui en résulteront ? Projections névrotiques et perpétuation des inégalités sociales...
Même si j'y ai perdu au passage quelques plumes et petites illusions de fillette, j'ai trouvé cette lecture très roborative. Ne serait-ce que parce qu'elle nous pousse à prendre conscience du conditionnement social à l'oeuvre au coeur même de nos choix les plus intimes: tomber amoureuse, s'engager avec la personne aimée, faire des bébés... Parce qu'elle répond bien aux questions qu'on se pose en tant que mère, en tant qu'épouse et ce qu'on perd à l'être - ce qu'on y gagne n'est pas le sujet du livre. Parce qu'il ne faut pas laisser passer l'occasion de mieux comprendre, donc davantage respecter, celles qui n'ont pas fait les mêmes choix que nous. Qui en effet n'a pas un jour jugé avec commisération l'éternelle célibataire qui enchaînait les mauvais plans, en se demandant ce qui clochait chez elle, quel vice caché l'empêchait d'être "comme tout le monde"?
Ce mépris social,
Marie Kock nous en fait prendre conscience en nous promenant dans l'histoire et la littérature à la rencontre de toutes ces "vieilles filles" : recluses du Moyen-Âge, religieuses, béguines, duègnes, "filles à chats"... Elle, au contraire, les voit comme celles qui ont eu le courage de s'émanciper en échappant à la sexualité imposée par le patriarcat. Dans le même temps, elle déplore l'absence de modèle positif de la femme seule, à l'inverse de figures masculines dont la misanthropie se pare d'un charme tout romantique : Jeremiah Johnson versus "la vielle dame qui finit dévorée par ses chats dans l'indifférence générale"...
J'ai aimé ce tissage de réflexion et de récit de l'intime, émaillé d'exemples variés.
Virginia Woolf, La Petite Maison dans la prairie, Dickens, Koh Lanta,
Marie Kock fait feu de tout bois ! La lecture est pop à souhait, le livre se lit avec plaisir. J'ai été un peu gênée parfois par ce feu d'artifice comme autant de salves savoureuses qu'aucune problématique profonde ne gainait, si ce n'est la nécessité de faire entrer toutes les vieilles filles recensées dans la même grille de lecture. Peut-être peut-on le comprendre finalement comme un "droit à la friche" dont l'autrice se prévaut dans sa conclusion, gagné en ayant refusé de vivre sa vie selon les normes en vigueur :
"C'est à ça que je tends. À être moi-même un terrain vague. Un endroit en friche, où il aurait pu se construire des choses et où il ne s'est rien construit".
Pourquoi pas finalement? Elle écrit comme une femme seule, émancipée du jugement social, évoluant selon son bon plaisir, faisant l'apologie du chaos... Sacré argument !
Dans la dernière partie de l'ouvrage cependant, l'équilibre entre réflexion et récit intime se fait plus lâche, l'introspection prenant le pas sur la généralisation. le souvenir du premier amour mort brutalement et le deuil impossible qui en a résulté pour
Marie Kock, pour touchants qu'ils soient, font passer son choix du célibat pour une blessure jamais refermée. La question reste entière pour moi (mais peut-être ai-je mal lu) : peut-on vivre seule par pur choix et non par non-choix ?
Lu dans le cadre du Grand Prix des Lecteurs Pocket 2024