Le secret des abeilles est une claque comme on en prend peu, une mandale qui met au tapis avec violence et qui met du temps à nous empêcher de nous relever de ce grand moment de lecture !
Lily Melissa Owens est une adolescente singulière, marquée par le décès de sa mère lorsqu'elle avait quatre ans, dans des circonstances tragiques dont elle ne garde plus que des souvenirs fragmentaires: l'image de sa mère qui entasse précipitamment des vêtements dans une valise, les pas du père dans l'escalier, leurs voix frémissantes de colère, un revolver sorti de sa cachette dans le placard, un bruit assourdissant… et des blancs. Un secret lourd à porter pour une adolescente solitaire – elle est celle qu'on n'invite pas aux goûters d'anniversaire -, dont son père ne semble se soucier qu'au moment de la punir pour l'une ou l'autre vétille, le plus souvent en la forçant à passer des heures agenouillée sur un tas de gruau de maïs. Lily a reporté toute son affection sur sa gouvernante noire, Rosaleen. Mais nous sommes en Caroline du Sud, à l'été 1964: les mouvements pour les droits civiques des noirs enregistrent leurs premières victoires, le racisme des blancs du Sud se déchaîne en proportions et Rosaleen en fera les frais.
Tel est le tableau qui attend le lecteur au début de ce “
Le secret des abeilles”. Mais si vous vous croyez embarqués dans un mélo bien noir, misérabiliste et larmoyant, vous comptez sans l'imagination débordante de Lily, sans les nuées d'abeilles qui lui rendent visite le soir dans sa chambre et surtout sans cette image d'une Vierge Noire qui avait appartenu à sa mère… Et il ne faudra pas plus qu'une image et l'indication qu'elle porte au dos –“Tiburon, South Carolina” – pour lancer Lily et Rosaleen sur les routes à la recherche du secret des abeilles, des secrets du passé et d'une vie plus douce.
Pour ce qui est de l'authentique et triomphante héroïne, curieux mélange de ruse et d'ingénuité, j'aime croire que c'est la colère qui l'a fait s'affirmer et régénérer son propre moi. Cette révolte lui a permis une réconciliation avec soi-même: "pour la première fois depuis que je savais la vérité au sujet de ma mère, j'étais heureuse."
"Assez étrangement, je devais aimer ma petite collection de souffrances et de blessures. Elles me valaient une vraie sympathie, me donnait l'impression d'être exceptionnelle. »
Le secret des abeilles : une histoire hors du commun avec un contexte historique particulier et un cadre spatial atypique. Une joie de vivre que les protagonistes communiquent aux lecteurs. Des rebondissements bien répartis. le tout donne un excellent roman. Malgré quelques petites longueurs, ce roman s'avère être beaucoup plus complexe qu'il n'y paraît au premier abord. En effet on y retrouve deux mondes qui s'imbriquent et parfois s'opposent : un cocon doré ampli d'espoir et d'humanité et le monde extérieur accaparé par la lutte des droits civiques.
C'est ainsi par l'exploitation de ces différents thèmes (la mort, l'adaptation d'un enfant handicapé, la famille, l'espoir, l'amour, la haine) que l'histoire nous touche au-delà de sa forme.
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Le secret des abeilles” se révèle en fin de compte un livre débordant d'optimisme, imprégné d'un bout à l'autre par la douceur parfumée du miel, bien plus sucré que ce que son commencement ne laissait supposer.