Ce roman, que l'éditeur même décrit comme un « thriller fantastique », était une énième trouvaille au catalogue de Lirtuel, la bibliothèque belge francophone en ligne dont j'ai déjà parlé plus d'une fois. Je ne savais pas trop à quoi m'attendre. Pour tout dire, je l'avais emprunté à cause de sa couverture quelque peu interpelante et qui ne me déplaît pas, et parce qu'il était parmi les nouveautés et que, à ce moment-là, j'avais encore le droit d'emprunter un livre de plus que ceux déjà en cours.
Je n'ai pas été déçue de ma lecture, au contraire, mais je ne la qualifierais pas non plus de révélation à lire absolument. En réalité, on a là typiquement un « roman d'ambiance », où l'autrice s'attache très fort à suivre les personnages au jour le jour dans leurs moindres faits et gestes, dans une atmosphère décrite au cordeau – ce n'est certes pas ennuyeux, à aucun moment dirais-je même, mais ainsi l'action n'avance guère : ce n'est qu'à 75% que l'histoire s'emballe (enfin !) pour une fin qui garde une part de non-résolu, malgré son goût de happy end. Un thriller fantastique façon soft, donc, même si certains passages font froid dans le dos !
On rencontre ainsi Grady, jeune charpentier sans envergure, entouré d'un petit groupe d'amis un peu douteux (dont son frère) mais sur qui il sait pouvoir compter. Il vivote de petit boulot en petit boulot, mais se retrouve sans activité lors de la pandémie de covid – qui est très centrale dans ce livre… pourtant publié en 2022 en vo, alors que les confinements étaient terminés depuis un moment ! Ainsi, lorsque Grady tombe par hasard sur une annonce recherchant un gardien pour la propriété d'un milliardaire installé à Hawaï, après avoir enjolivé son CV, il pose sa candidature, lui qui n'a jamais été au-delà des frontières de son Maine natal… et obtient le poste quasi aussitôt !
Sur place, il découvre une propriété immense, avec à l'intérieur une gigantesque volière abritant des espèces rares d'oiseaux endémiques de l'île… soi-disant pour leur conservation, ce qui n'empêche pas que, malgré la grandeur du lieu, les oiseaux y sont enfermés ! Mais il apprend aussi que son patron, le richissime Wes Minton, passe l'essentiel de son temps sur son autre propriété, inaccessible à qui que ce soit, sur la péninsule d'Hokuloa, théoriquement terre indigène intouchable mais les milliards de dollars permettent tout…
Cependant, Wes Minton ne lui laisse à peu près rien à faire, si bien que Grady s'ennuie à mourir. Dès la fin de sa quarantaine, apparemment très sérieusement observée à Hawaï, il alterne les visites aux quelques connaissances qu'il s'est faites depuis son arrivée sur l'île, tout en s'inquiétant pour sa santé mentale, lui qui pense avoir vu un chien étrange qui lui a fait une peur terrible, dès sa première nuit, et qui ne va cesser de le hanter. En effet, après quelques recherches, il pense avoir découvert qu'il s'agirait du fameux Kaupe, être maléfique des légendes hawaïennes, qui attire les gens pour les tuer… mais qui, bizarrement, ne semble pas vouloir le tuer, lui, Grady (si seulement ce Kaupe « existe » vraiment !).
En outre, il s'inquiète d'un bunker sis sur son chemin entre la propriété dont il est le gardien et la ville la plus proche : un bunker où sont écrits les noms des trop nombreux disparus de l'île, régulièrement effacés, mais réapparaissant tout aussi régulièrement. Quand une jeune femme, Jessica, qu'il a brièvement rencontrée dans l'avion avant d'arriver à Hawaï disparaît à son tour, il se met peu à peu en tête d'élucider ces disparitions…
Comme je disais : il ne faut pas attendre de folle action de ce livre. L'essentiel se passe dans la tête et/ou dans le quotidien de Grady, personnage sans envergure disais-je plus haut, mais pas inintéressant pour autant. Avec son habitude d'avoir vécu de petites combines et autres boulots au fil des opportunités, il est adaptable à toute nouvelle situation. Il s'intéresse à la nature, a d'ailleurs suivi une formation de guide dans son État natal, et est fasciné par les oiseaux de la volière autant qu'il s'interroge sur le fait qu'ils soient ainsi « en cage », aussi gigantesque qu'elle soit. C'est aussi un manuel, capable de 1.001 travaux divers et variés sans jamais rechigner à la tâche, plein d'idées pour améliorer son environnement et celui de ses amis, prêt à aider quand il peut… si du moins il n'est pas en train de cuver l'une des très nombreuses bières qu'il donne l'impression de boire sans fin tout au long du livre – à croire que l'autrice a été sponsorisée par Pabst (Blue Ribbon) !
C'est aussi à travers ce personnage, au départ insignifiant, mais qui se révèle à lui-même tout au long de l'histoire, que l'autrice aborde toute une série de thèmes qui, malgré leur très grande diversité, se tiennent les uns ou autres sans jamais perdre le lecteur. J'ai cité plus haut la pandémie de covid et tout le mal qu'elle a fait aux relations sociales, en général.
Le deuxième (ou sur pied d'égalité!) thème central, qui s'éparpille en plusieurs sous-thèmes, est bien entendu l'île d'Hawaï, dont l'autrice démontre une connaissance approfondie (sans doute à la suite d'un énorme travail de recherche, et alors c'est remarquable) : elle nous parle des autochtones, qui se considèrent comme légitimes s'ils ont ne serait-ce qu'un arrière-arrière-arrière-grand-père natif de l'île, par opposition aux haole, les non-îliens (pour une comparaison beaucoup plus proche de chez nous, on croirait parfois qu'elle parle d'une certaine image qu'on peut avoir de la Corse !). Elle soulève à quel point ces haole, que les Hawaïens de souche ont tendance à mépriser, sont pourtant indispensables à la survie de l'île, à travers une industrie de tourisme « de façade » - entendez : qui montre la mer, les plages et les quelques beautés de la nature accessibles, autrement dit rien de ce qui ressemble au quotidien véritable des habitants - ; une industrie en plein effondrement à cause de la pandémie.
Elle montre aussi un véritable intérêt pour la protection de la nature, cet environnement tellement particulier et extravagant à Hawaï, mais aussi en danger, comme partout ailleurs sur la planète. Elle révèle par exemple (dans l'histoire même, et le confirme en note à la fin du roman même) que certaines espèces d'oiseaux, considérées comme (quasi) disparues, ont été retirées récemment de la liste américaine des espèces menacées d'extinction, car plusieurs de ces espèces ont été « retrouvées » à Hawaï, et leurs populations seraient actuellement suffisantes pour ne plus susciter d'inquiétude. Elle pose la question, aussi, on l'a compris, de l'opportunité ou non de garder ces espèces menacées en cage, sous prétexte de protection.
Mon seul vrai regret, finalement, est un récurrent et concerne davantage l'éditeur que l'histoire même : on a là une autrice américaine, avec une histoire se déroulant aux États-Unis… et paf, le lecteur francophone est censé comprendre d'emblée où est le Maine et quelles sont ses particularités, à quelle distance se trouve Hawaï, comment y arriver depuis le Maine (vous saviez, vous, que c'est apparemment « normal » de passer par Los Angeles ?). J'ai beau parler un anglais suffisamment courant et lire de nombreux romanciers américains, je ne suis pas passionnée par ce pays (ce n'est pas obligatoire quand même ! si ?), et suis bien incapable de situer les différents États, à peine quelques-unes des plus grosses villes. Je continuerai donc de réclamer que les éditeurs donnent quelques indices, évitant ainsi aux lecteurs francophones de perdre leur temps à essayer de visualiser où se passe l'action, alors qu'une seule petite page avec une carte des États-Unis (avec Hawaï aussi), aurait résolu bien des questions géographiques, qui n'entravaient certes pas, pas tout à fait, la compréhension du texte, mais qui l'auraient rendu plus fluide pour les lecteurs non avertis – ce que je revendique !
Tout cela étant dit, sachez que, si vous espérez un roman d'action ou un thriller plein de suspense jusqu'à un dénouement en fanfare, ce livre vous décevra. Même pour moi qui n'en attendais rien de particulier, le manque d'action pendant les trois premiers quarts de la lecture, a eu quelque chose de déroutant – sans pour autant m'ennuyer, je le répète ! Quant à dire le moindre mot sur le dernier quart, ce serait complètement divulgâcher, donc je vous laisse voir…
Je peux donc dire que c'était un bon livre, plein d'une ambiance de mystère qui s'épaissit peu à peu, tout teinté de vieilles légendes hawaïennes qui sont présentées par petits bouts, suffisamment pour être compréhensibles, sans devenir assommantes ; et le tout invite le lecteur à entrer de plus en plus profondément dans la façon de vivre, de penser, de ressentir d'un haole certes, mais un haole peu à peu fasciné par cette île apparemment magnifique et pourtant si peu connue qu'est Hawaï.
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