C'est pas beau de mentir.
Pourtant on le fait quasiment tous, au moins occasionnellement.
En répondant par exemple "oui, oui" à la question "Ca va ?" parce qu'on n'a aucune envie de s'attarder et de raconter les derniers soucis qui nous plombent le moral.
Parce que parfois c'est plus facile de donner une version inexacte de la vérité, de la transformer pour notre propre compte ou pour protéger les gens auxquels on tient.
Par exemple, quand ma mère me questionnait sur les odeurs de tabac émanant de mes vêtements, je mettais toujours mon propre forfait sur le dos de mes amis fumeurs. J'étais quant à moi évidemment aussi innocent que l'agneau venant de naître.
Et si je sentais l'alcool, j'avais en effet bu une bière ... Je n'allais quand même pas avouer en avoir bu dix.
Enfin, je crois qu'elle n'était pas totalement dupe...
Pourtant, je me considère comme quelqu'un de plutôt honnête, mais voilà : moi aussi,
parfois je mens.
Et c'est ce que je m'apprête à faire dans cette critique du premier roman d'
Alice Feeney.
Ce livre entraîne immédiatement le lecteur dans son sillage avec l'originalité narrative dont il fait preuve.
Alors que je fêtais mes quarante-et-un ans, le 26 décembre 2016, j'ignorais que dans un hôpital anglais, au même moment, Amber Reynolds reprenait conscience.
Enfin, façon de parler.
Elle est toujours plongée dans un profond coma, sans en connaître la raison, mais est suffisamment éveillée intérieurement pour partager son quotidien ainsi que ses souvenirs, qui affluent très progressivement.
"Je suis un fantôme prisonnier de mon corps."
"Ils récupèrent mon urine dans un sac et me torchent les fesses."
Elle ressent la douleur, les présences autour d'elle, elle entend les dialogues de ses proches ou du personnel soignant. Elle voudrait répondre quand on lui parle. Mais elle ne peut pas interagir avec eux.
"Il s'est passé quelque chose de très grave, même si je ne sais plus quoi, ni quand cela s'est produit."
Peu à peu, elle comprendra qu'elle a eu un grave accident de voiture. Elle qui ne conduit pourtant jamais.
Et c'est donc dans un parfait brouillard qu'on évolue avec elle et ses réflexions, qu'on tente de reconstituer avec bien peu d'éléments comment elle a pu se retrouver dans cette situation.
Ses principaux visiteurs sont son mari Paul er sa soeur Claire. Tous les deux semblent partager un secret. Et les soupçons, tant ceux du lecteur que ceux de la police, ne tardent pas à se diriger vers l'époux. Non seulement leur couple semblait battre de l'aile, mais Amber est recouverte d'hématomes antérieurs à l'accident, et de là à penser qu'elle était battue, il n'y a qu'un pas.
Petit à petit, elle entend des indices autour d'elles, et les souvenirs reviennent. Aussi son histoire prend-elle forme progressivement.
Comme dans de nombreux thrillers psychologiques, on a ici une alternance présent / passé.
Aussi revivons nous chronologiquement la semaine d'Amber avant l'accident. Et les évènements qui vont s'enchaîner jusqu'à son arrivée à l'hôpital.
Nous en apprenons ainsi bien davantage sur sa vie professionnelle, ou sa famille.
Amber présente une émission de radio, Coffee Morning, avec l'illustre Madeline Frost. le problème, c'est que la célébrité ne peut plus supporter sa partenaire, et comme c'est elle la star, ses désirs sont des ordres. le réalisateur laisse alors un ultimatum à Amber : Soit la relation entre les deux présentatrices s'arrange d'ici le nouvel an, soit elle sera remerciée. C'est ainsi qu'aidée de sa collègue et amie Jo, Amber concocte un plan infaillible pour mettre sa concurrente en difficulté, multipliant les coups bas et les lettres anonymes de menace.
On fait également connaissance de Paul, le mari, de plus en plus distant, écrivain auteur d'un seul livre et n'ayant jamais renoué avec le succès. Tout porte à croire qu'il a une autre femme dans sa vie.
"Nous n'avons pas fait l'amour depuis des mois, depuis notre anniversaire de mariage."
On rencontre aussi Edward, l'ex-fiancé d'Amber. Ils se croisent par hasard, prennent un verre. Comment réagira-t-elle quand elle réalisera que les sentiments qu'il lui voue sont toujours aussi intenses que par le passé ?
Quant à Claire, la si jolie soeur, elle est l'exacte opposée d'Amber, qui se dévalorise.
"Chez elle, tout est impeccable, soigné, maîtrisé. Nous sommes aux antipodes l'une de l'autre."
"Je me sens sotte et vieille, périmée."
La relation entre elles est très ambiguë. Entre attachement possessif, haine et jalousie.
Notamment parce qu'Amber est devenue invisible pour ses parents, toute leur attention étant accaparée par Claire.
Parfois je mens alterne donc le présent, le passé proche, mais aussi le passé lointain. Ce sont trois périodes distinctes qui vont raconter une seule et même histoire, brouillant à la fois les cartes tout en multipliant les indices.
Ainsi accède-t-on au journal intime d'Amber, alors âgée de dix ans, au début des années 90.
Mais quel est le lien entre ces écrits de pré-adolescente mal dans sa peau et les évènements qui vont se dérouler un quart de siècle plus tard ?
On y découvre à nouveau une jeune fille solitaire, peu appréciée, issue d'un milieu modeste. Atteinte de troubles obsessionnels compulsifs, Amber se révèle maniaque et anxieuse.
Ses parents la rejette. Ils ont des problèmes avec les somnifères ou l'alcool.
"Je crois que papa ne devrait pas boire autant, ça le transforme en quelqu'un de pas très gentil."
Durant cette enfance chaotique, elle se fera cependant une amie, Taylor, avec laquelle elle partage jusqu'à la même date de naissance.
"J'aime Taylor. Je ne laisserai personne lui faire de mal."
Taylor et la mère de celle-ci seront un peu comme un refuge, un réconfort pour cette fillette mal dans sa peau.
Evidemment, les trois périodes sont intrinsèquement liées. de courts chapitres nous font passer de l'une à l'autre, permettant progressivement d'éclairer d'un jour nouveau l'ensemble de l'intrigue, qui ne s'arrête pas aux origines de l'accident qui a plongé Amber dans le coma.
Mais bien vite, vous vous rendrez compte que de petits détails ne collent pas. Parfois l'explication viendra rapidement et d'autres, vous resterez avec vos doutes. Est-ce une maladresse de l'auteure, ou faut-il attendre encore un peu avant d'avoir que ces incompatibilités entre les histoires deviennent rationnelles ? Pas évident d'anticiper avec une narratrice qui annonce d'emblée qu'il lui arrive de mentir.
"
Parfois je mens. Ca arrive à tout le monde."
"Les mensonges peuvent avoir l'air vrai à force d'être répétés."
Amber Reynolds est une héroïne très particulière, parce qu'on la devine perturbée au-delà de ses problèmes familiaux et professionnels. Parfois exécrable, parfois terriblement attachante, est-elle victime de ses propres machinations ou d'un sort cruel ?
Ce livre propose une réelle plongée en eaux troubles en nous mettant dans la peau de cette femme qui ne parvient pas à se réveiller de son coma et dont la vision comme les pensées ne sont pas totalement fiables. Est-elle manipulée ou est-ce elle qui manipule le lecteur ?
L'une de ses principales particularités est de toujours dresser des listes obsessionnelles, qui doivent toujours aller par trois. La jeune Amber se présente ainsi :
1 - J'ai bientôt dix ans
2 - Je n'ai pas d'amis
3 - Mes parents ne m'aiment pas
Plus âgée, elle a non seulement gardé cette habitude mais a pris celle de toujours tout compter.
"Je ne m'arrête pas avant d'avoir pu en compter dix sur la porcelaine blanche."
"Je les ai comptés : Il y en avait treize, ce dont je me souviens parce que c'est un nombre qui porte bonheur et malheur à la fois."
A l'instar de Monk, le détective, dénombrer et lister la rassure.
Désormais très familier du genre, ce thriller psychologique a pourtant réussi à me surprendre. le mot est d'ailleurs faible : il m'a plutôt retourné le cerveau avec une première révélation inattendue, avec laquelle j'ai du composer pour remettre en place tout ce que je croyais avoir lu et compris jusqu'alors.
Et arrivent les dernières lignes et là, nouvelle claque, elles résonnent encore dans un coin de ma tête parce qu'elles obligent à changer de nouveau de perspective, et je m'en veux presque de m'être ainsi laissé balader par
Alice Feeney.
Sur des thèmes pourtant classiques ( mariage, famille, relation entre soeurs ... ),
Parfois je mens montre une nouvelle fois par l'originalité et l'intelligence de sa construction que le thriller psychologique a encore de beaux jours devant lui, en parvenant à innover et à surprendre le lecteur.
En outre, la qualité de l'écriture et de certaines réflexions n'ont fait qu'amplifier mon plaisir lors de cette lecture.
N'hésitez donc pas à vous prendre la tête à votre tour avec ce puzzle en trois dimensions, avec quelques pièces en trop et d'autres émoussées, et bonne chance pour le résoudre !
A mon humble avis, incontournable pour les amateurs du genre.
Croix de bois, croix de fer,
Si je mens, je vais en enfer.