La portée mondiale du développement capitaliste lui permet de placer la plus grande partie de ses conséquences matérielles et sociales hors de notre vue, de manière qu'il nous devienne difficile d'évaluer le coût global de toute nouvelle forme de production. Comme l'écrivait le sociologue allemand Otto Ulrich, c'est uniquement la capacité des techniques modernes à transférer ses coûts sur des étendues considérables de temps et d'espace, et par conséquent notre incapacité à voir les souffrances causées par notre usage quotidien d'outils technologiques, qui permet la persistance du mythe de la technologie comme source de prospérité.
Si, après avoir exploité pendant des siècles chaque recoin de la planète, le capitalisme n’est pas en mesure d’assurer à toutes et tous ne serait-ce que les conditions minimales de leur reproduction et qu’il doit continuer de plonger des millions de personnes dans des conditions de vie misérables, alors ce système est en faillite et doit être remplacé. En outre,aucun système politique ne peut assurer sa viabilité à long terme uniquement par la force. Or, il est maintenant clair que le système capitaliste n’a plus à sa disposition que la force et que son règne est assuré, au moment où j’écris, seulement par la violence qu'il mobilise contre ses adversaires.
Il est par exemple évident qu’en sapant la capacité d’autosuffisance des différentes régions du monde et en créant une interdépendance économique totale, même entre des pays géographiquement éloignés, la mondialisation génère non seulement des crises alimentaires récurrentes mais également le besoin d’une exploitation illimitée du travail et de l’environnement naturel. Comme par le passé, ce processus se fonde sur l’enclosure des terres. Celle-ci est aujourd’hui si étendue que même les espaces de vie agricole, qui par le passé étaient restés intacts et avaient permis la reproduction des communautés paysannes locales, sont maintenant privatisés, accaparés par des gouvernements ou des entreprises pour l’extraction minière ou d’autres plans économiques. À mesure que l’extractivisme triomphe en de nombreuses régions, combiné à la saisie des terres pour la production de biocarburant, la propriété foncière collective est juridiquement abolie et la dépossession est si massive que nous approchons à toute vitesse du stade, décrit par Marx, où "une partie de la société exige de l’autre qu’elle lui paie dans ce cas un tribut pour avoir le droit d’habiter la terre."
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