"J'ai porté dix ans le voile. C'était le voile ou la mort. Je sais de quoi je parle."
Oui, elle sait de quoi elle parle,
Chahdortt Djavann, et elle en parle très bien. En des termes clairs et précis.
Chahdortt Djavann a vécu en Iran où elle a connu l'arrivée de Khomeyni au pouvoir et le basculement dans le fondamentalisme religieux. Elle qui a été élevée dans un milieu intellectuel et ouvert d'esprit, « dans l'amour des livres et la détestation des mollahs », est obligée de remplacer la lecture des grands auteurs français (subversifs sans doute) par celle du Coran.
Elle est également obligée de se voiler.
Ayant fui l'Iran, elle arrive en France en 1993, sans parler le français, langue qu'elle apprend sur le tas et en lisant de grands auteurs, en version originale cette fois. Avec succès puisqu'elle écrit directement en français.
L'objet de ce pamphlet est clair, le titre l'annonce : l'auteur est une farouche pourfendeuse du voile.
Ce n'est pas le premier texte que je lis sur ce sujet qui m'intéresse et qui mérite que l'on y réfléchisse en profondeur, loin des petites phrases ou petits slogans réducteurs et sans contenu que l'on peut entendre ici où là, de la part des pro-voile comme des anti-voile.
Le débat devient souvent hystérique entre partisans des deux camps, chacun prétendant détenir LA vérité, mais si l'on réfléchit bien, que savent-ils tous ceux qui pérorent à qui mieux mieux sans y connaître grand-chose ?
"Qui a le droit d'en parler ?" interroge
Chahdortt Djavann. Question à laquelle elle apporte une réponse très simple : seuls celles qui subissent ou ont subi le voile sont qualifiées pour le faire. Pour les autres, il ne peut s'agir que d'une vue de l'esprit.
Quelques lignes cinglantes, dont je recopie une partie en fin de critique remettent à leur place ceux qui prétendent s'exprimer alors qu'ils n'ont pas la légitimité pour le faire.
Le voile n'est pas un vêtement ordinaire. Ce n'est pas un simple bout de tissu. Ce n'est pas une simple marque de piété. C'est une prison physique et psychique. C'est un signe fort de l'infériorité de la femme.
Imposé aux fillettes, il les conditionne dès le plus jeune âge : tu es impure, tu ne vaux rien, tu dois être soumise à l'homme.
Chahdortt Djavann explique, analyse et surtout démontre, arguments (historiques, politiques et religieux) à l'appui : voilà la force de ce texte.
"Le voile définit la femme psychologiquement, socialement, sexuellement et juridiquement comme sous-homme."résumera-t-elle dans un roman paru ultérieurement.
Il est honteux qu'en France nombre de personnes se prétendant "féministes" ne s'attaquent pas à ce problème. Si seulement ce petit monde mettait autant d'énergie à combattre le voilement des fillettes (que l'auteur assimile à juste titre à de la maltraitance) qu'il en met à vouloir imposer des stupidités telles que l'écriture inclusive !
Au passage, ces féministes de pacotille feraient bien de s'attaquer aussi à cette barbarie qu'est l'excision et dont la pratique est en augmentation.
Cette abjection. En France en 2020. Oui !
J'ai honte pour mon pays : "patrie des droits de l'homme", "pays des Lumières", semblent désormais des coquilles vides.
J'ai honte de voir que personne ou presque ne s'émeut de ces atrocités infligées à des fillettes sans défense. J'ai honte de voir que quand une voix (timide) tente de se faire entendre dans l'assourdissant silence complaisant, son propriétaire se fait aussitôt traiter d'intolérant, de raciste, d'islamophobe, quand ce n'est pas directement de fasciste, voire de nazi.
Mais, bon sang ! Il n'est pas question de race ou de religion ici : il s'agit d'une barbarie que l'on interdirait si elle se pratiquait sur les animaux !
Ce livre a été écrit en 2003, et il n'a malheureusement pas pris une ride.
Un livre fort de la force de celle qui a vécu et s'est libérée.
Un livre à lire et à méditer. Un livre à faire lire autour de soi.
Ceux qui "soutiennent" les femmes voilées en France, que ce soit par "esprit de tolérance" ou par intérêt politique et clientélisme électoral, ceux qui le font au nom de la "liberté de choix", ne font que les maintenir dans la condition d'êtres inférieurs et de sous-citoyens dans laquelle certains veulent les enfermer. Ils ne font pas le bien : ils nuisent.
Foin d'angélisme, du réalisme !
"Certains intellectuels français parlent volontiers à la place des autres. Et aujourd'hui voilà qu'ils parlent à la place de celles qu'on n'entend pas − la place que tout autre qu'elles devrait avoir la décence de ne pas essayer d'occuper. Car ils continuent, ils signent, ils pétitionnent, ces intellectuels. Ils parlent de l'école, où ils n'ont pas mis les pieds depuis longtemps, des banlieues où ils n'ont jamais mis les pieds, ils parlent du voile sous lequel ils n'ont jamais vécu. Ils décident des stratégies et des tactiques, oubliant que celles sont ils parlent existent, vivent en France, pays de droit, et ne sont pas un sujet de dissertation, un produit de synthèse pour exposé en trois parties. Cesseront-ils jamais de paver de bonnes intentions l'enfer des autres, prêtes à tout pour avoir leur nom en bas d'un article de journal ?
Peuvent-ils me répondre ces intellectuels ?
Pourquoi voile-t-on les filles, seulement les filles, les adolescentes de seize ans, de quatorze ans, les fillettes de douze ans, de dix ans, de neuf ans, de sept ans ? Pourquoi cache-ton leur corps, leur chevelure ? Que signifie réellement voiler les filles ? Qu'est-ce qu'on essaie de leur inculquer, d'instiller en elles ? Car au départ elles n'ont pas chois d'être voilées. On les a voilées. Et comment vit-on, habite-t-on un corps d'adolescente voilée ? Après tout, pourquoi ne voile-t-on pas les garçons musulmans ? Leur corps, leur chevelure ne peuvent-ils pas susciter le désir des filles ? Mais les filles ne sont pas faites pour avoir du désir, dans l'islam, seulement pour être l'objet du désir des hommes."