La lecture.
Tout ce que je trouvais, je le lisais. Bien sûr, ce n'était pas toujours de la prose faite pour les délicats. Quand je tombais sur quelque chose de bien, je l'apprenais par coeur et, la nuit, je le beuglais avec de grands gestes. De la sorte, je devins comme un second auteur, plus bruyant, mais modeste.
Les crimes mal racontés m'enchantaient; les noms me donnaient de la joie : le docteur Couilloux, le pharmacien Bourouge, Adolphe Canne l'épicier.
J'aurais aimé m'appeler Bougie ou Hérisson, Fromage ou Pinard ou Choucroute.
J'ai vécu très longtemps au fil de la terre. J'ai dormi des saisons dans des trous de chênes, les éboulis de rochers. Je connaissais l'heure de la graine, de la tige, de la feuille. Je savais les vents qui mettent le désordre dans le ciel, ceux qui mettent le désordre dans les branches et ceux qui troublent les sèves, ceux qui brûlent les feuilles et sèchent les branches
DEFENSE DE LA CITATION
Nous voulons faire profiter les lecteurs de nos découvertes, nous voulons qu'ils partagent les joies que nous avons eus en trouvant chez le cardinal de Richelieu ou chez Zenoïde Fleuriot telles phrases qui nous ont touchés et qui doivent se trouver au corps du livre.
Nous sommes faits avec les morceaux des autres et nous parlons et nous écrivons avec les phrases, les rythmes des pensées des autres. Nous devons être mélangés à tous ceux qui nous ont précédés.
Et puis c'est bon de placer à la tête d'un chapitre l'avertissement bienveillant de quelqu'un qui nous a enseignés.
Je n'étais pas comme ceux-là qui dénigrent, se plaignent de l'artifice quand c'est eux qui sont pleins de couches universitaires, parlant de littérature comme si les livres devaient être écrits avec des globules rouges et de poésie voulue comme si la poésie se ramassait dans les lieux raturés, faite sur effort apparent.
Tout ce que je trouvais, je le lisais. Bien sûr, ce n'était pas toujours de la prose faite pour les délicats.
Quand, je tombais sur quelque chose de bien, je l'apprenais par cœur et , la nuit, je le beuglais avec de grands gestes.
De la sorte, je devins comme un second auteur, plus bruyant, mais modeste.
[RARE] Luc DIETRICH – Une Vie, une Œuvre : La soif d'être (France Culture, 1994)
Émission "Une Vie, une Œuvre", par Jacqueline de Roux, diffusée le 3 mars 1994 sur France Culture. Invités : Michel Random, Frédéric Richaud, Yann de Tourmelin et Jean Daniel Jolly Monge.