Avec son livre, «
PRAGUE, FAUBOURGS EST »,
Timothée Demeillers a voulu montrer l'évolution de Prague des années quatre-vingt-dix à aujourd'hui, et le passage de la fin du communisme avec cette espèce d'effusion de joie intense qu'amenaient le capitalisme et la société de consommation, mais aussi avec toute cette déception et cette nostalgie qui se développaient, et avec notamment tous ces laissés-pour-compte, des gens qui finalement n'ont pas pris le bon train vers le capitalisme et qui se retrouvent un peu abandonnés. C'est en s'emparant des fantasmes sordides des touristes à coups de trafics douteux que les laissés-pour-compte de Prague gardent la tête hors de l'eau !
Timothée Demeillers a depuis longtemps une passion pour l'histoire de l'Europe centrale et cela l'a amené à poursuivre des recherches sur les populations Roms de Slovaquie et de République tchèque. Après avoir été guide touristique et s'être lancé dans de longs voyages à travers l'Europe de
l'Est, en tant que journaliste, il a vécu pendant plus de trois ans à Prague, qu'il trouve fascinante par certains aspects.
«
PRAGUE, FAUBOURGS EST », c'est l'histoire de trois personnages : Marek, Jakub et Scott.
Marek revient à Prague après avoir passé sept ans d'un exil aux USA, où il pensait vivre le rêve américain. Mais Prague a bien changé ! On dilapide la ville qu'il a aimé. Les touristes occidentaux l'ont envahie et gangrénée durablement.
Jakub, l'ancien compère de Marek, est un prince de la nuit pragoise, qui a énormément de charisme.
Marek le retrouve complètement déchu, car il est tombé dans l'alcool et la drogue, et il est devenu très amer par rapport à la personne qu'il était avant. Jakub tente de combler ce paradis perdu à coups de paradis artificiels qui le détruisent.
Scott, lui, est un touriste américain, sans foi ni loi, qui arrive à Prague pour trois jours de fêtes, de sexe et d'alcool !
Trois récits se mélangent. Ces trois personnages vont se rencontrer, et vont alors émerger des réflexions sur les visions que
l'Est portait sur l'Ouest et vice-versa. Notamment dans cette espèce d'orientation où plein de gens viennent à Prague dans ce tourisme de masse pour à la fois revivre le communisme au moment où Prague tente de s'en échapper et à l'inverse pour des bières et des filles pas chères, et des fêtes sans limites. Cette espèce d'image de
l'Est, et cette image de rêve américain ou de rêve d'Eldorado sont très présentes dans ce livre.
Timothée Demeillers apprécie beaucoup un écrivain polonais,
Andrzej Stasiuk, qui écrit de façon nostalgique sur l'époque des peuples de l'Empire Austro-Hongrois, qui vivaient côte à côte et dans des sortes d'endroits qui aujourd'hui sont gagnés par une forme de tristesse et par le nationalisme.
Timothée Demeillers, pour écrire ce livre, a été aussi influencé par
Bohumil Hrabal, par ce monde des déshérités, de cette sorte de société tchèque un peu souterraine et marginale, qui vivote dans des bars de banlieue et qui boivent des chopines de bières…
Il a été influencé également par la nouvelle vague du cinéma tchèque des années soixante, avec cet état d'esprit désireux de liberté artistique.
Il porte au travers de ce roman un regard lucide sur un pays qui avait fondé tant d'espoir avec sa Révolution de Velours, et il dénonce les dérives du régime post-révolution… policiers corrompus, qui profitent des faiblesses du régime, augmentation du nombre de pickpockets, avec les arrivées en masse des touristes en mal de pittoresque, etc. Pour l'auteur, la vague d'insouciance et d'optimisme que cette révolution amenait, est révolue.
Son style est direct, et fait mouche ! Il y a des phrases très « hard », écrites avec des mots très crus, d'un registre sexuel aussi. Mais vu le contexte, je trouve que ce ne sont ni des mots, ni des phrases écrits de façon gratuite. C'est sombre, mais c'écrit aussi avec des notes d'ironie et d'humour.
J'ai trouvé que son style d'écriture est assez ressemblant à celui de l'écrivain tchèque contemporain Jaroslav Rudiš, notamment dans son livre « Avenue Nationale ».
Marek et Jakub ont Prague dans la peau, mais ne savent plus comment se la réapproprier.
On les sent guidés par la question du sentiment d'appartenance : qu'est-ce que se sentir chez soi ?
Dans ce livre,
Timothée Demeillers écrit un spleen urbain. Ses réflexions sont sans concession. Elles nous guident à travers les voyages intérieurs des exclus du monde moderne.