Bernard Clavel n'est plus guère à la mode aujourd'hui, c'est peut-être pour cela que j'en ai trouvé plein à Emmaüs, qui attendaient sagement preneur. Un peu trop vite épinglé comme romancier du terroir, c'est aussi un humaniste, et j'aime ses livres qui, même si ce ne sont pas des monuments de littératures, sont des valeurs sûres. On n'y trouve pas vraiment de méchants, et il y a toujours une large place faite aux sentiments simples et francs.
Après ce préambule, je dois avouer que j'ai été un peu déstabilisée par cet opus, qui dévie un peu de la route que suivent habituellement les romans de Clavel (ou du moins ceux que j'ai en mémoire, j'ai l'air de m'ériger en spécialiste de cet auteur, ce que je ne suis absolument pas).
Les Roses de Verdun, c'est le récit qu'Augustin Laubier fait à Clavel des derniers mois de la vie de son patron, l'industriel Martinon, et, à travers le récit d'un voyage en voiture vers Verdun et Aulnois, des grands événements de la vie de celui-ci. Une vie marquée par deux guerres, l'une qu'il a passée aux commandes de son usine, et l'autre dans laquelle il a perdu son fils.
Au soir de sa vie, cet homme interroge ses choix et sent monter sa culpabilité face à ceux qui, comme de très nombreux camarades de son domestique Laubier, ont perdu la vie dans les tranchées, puis face à ceux qui ont fait leur devoir jusqu'au bout face aux armées nazies. Fabriquer des obus de qualité dans ses usines, est-ce un argument suffisant pour ne pas aller soi-même au front, ou cela fait-il de lui un « planqué » ? C'est la question lancinante de ce court roman
, une question à laquelle Bernard Clavel ne répond pas franchement, pas plus que le narrateur, Laubier, qui a lui passé quatre ans dans les tranchées, sur tous les fronts les plus exposés et qui, lui, se débat avec une autre question morale, pourquoi m'en suis-je sorti et pas les autres ? Et il faut toute la plume douce de
Bernard Clavel, le regard tendre qu'il porte à tous ses personnages quels qu'ils soient, pour rendre la complexité de ce débat intérieur sans la trahir.
C'est un livre qui laisse un goût d'inachevé.
On n'assiste pas à la rédemption finale de ce personnage hanté par son passé privilégié, qui se croyait à l'abri de tout mais que la réalité de la guerre a fini par rattraper. Mais je crois que cet inachevé est voulu par Clavel, à chaque lecteur de porter le jugement qu'il veut sur le personnage ou, justement, comme Clavel, d'essayer de ne pas juger, de reconnaître la complexité d'une vie et des choix qui l'ont jalonnées, sans émettre de jugement définitif et péremptoire qui sont rendus si faciles a posterio par le temps écoulé et par la connaissance de la fin de l'histoire. C'est Laubier, en double de Clavel, qui a probablement raison. Il conte les événements, il les commente à peine et il reste à sa place, il est témoin
, mais ni n'absout ni ne condamne son patron. Un livre qui laisse pensif, méditatif.