Vous qui passez sans me voir
Sans même me dire bonsoir
Donnez-moi un peu d'espoir ce soir
J'ai tant de peine
Vous, dont je guette un regard
Pour quelle raison ce soir
Passez-vous sans me voir?
Ces paroles de
Trenet collent parfaitement à Pierre, un invisible parmi les humains de la ville. Un homme oui mais rétrogradé au rang de fantôme par une société qui refuse de voir la misère par peur au mieux, mais surtout par mépris. Un sans domicile fixe, expression édulcorée cynique pour désigner un sans abri, un clochard, un mendiant, un pouilleux, gradation dans les termes plus proche de la pensée anthropique.
Pierre est habitué à cela depuis le temps qu'il arpente les rues de Bordeaux. Il connaît les dangers de la rue mais aussi ses opportunités. Il s'est reconstitué un semblant de vie en s'octroyant un espace vert laissé à l'abandon par la commune, y dormant le jour d'un sommeil sans repos et sans rêves. Rêver ça autorise de l'espoir et Pierre n'en a plus, il s'est progressivement retirer de la vie, de sa vie. Il a perdu l'essentiel et n'est jamais parvenu à remonter la pente. Alors il erre au hasard, fait la manche par ci, récupère un repas par là auprès d'un bon samaritain rappelé à l'ordre par la maréchaussée pour trouble à l'ordre publique. Se déplace toujours la nuit pour éviter les ennuis, en particulier les soirs de match où la populace peut le prendre pour un punching ball défouloir. Et parfois il songe au grand saut, celui sans retour, se noyer pour définitivement oublier. de toute façon il n'est plus rien et évite même le plus possible les contacts avec ses congénères, asocial jusqu'au bout du désespoir.
Cetro met le lecteur face à la réalité de son héros, entre phases d'introspection et affrontement avec la précarité. Il dresse un tableau qui dérange la conscience en l'adoucissant un peu par des traits d'humour de son invention. Sans jugement, il expose cette survie et les réactions des passants, au liseur à faire le tri de ce qui le concerne ou pas.
Ok ça c'est pour l'aspect sombre, mais l'auteur ne veut pas laisser son personnage continuer à sombrer. Il lui propose une bouée de sauvetage sous la forme d'un vieux chien vagabond mal en point et qui s'attache malgré lui. Cette rencontre va réanimer une flammèche dans le coeur du cloche, forcé de prendre soin de lui. Et une rencontre en entraînant une autre, Pierre va croiser le chemin d'humains en quête eux-aussi. On retrouve ici le Cetro à la plume qui se nourrit de l'encre de son coeur. Il nous fait aimer ses protagonistes, sans restriction. On s'attache surtout quand on les voit évoluer positivement, l'espoir renaît. Chacun tire l'autre vers le bout du tunnel, vers une nouvelle lumière. La patte humaniste de l'auteur s'exprime à plein régime, vindiou que c'est bon. Et j'y ai cru, me disant, Cetro se transforme en romancier, il va nous envoyer une happy end et franchement ça passait crème pour reprendre une expression dans l'air du temps.
Mais Cetro n'est pas de cette trempe là, il faut qu'il secoue son lecteur jusqu'au bout. Même si cela m'a frustré juste à la fin de ma lecture, j'ai vite compris son intention. Retourner son lectorat par une intrigue qu'il a distillé presqu'en noyant le poisson, montrer que tout est lié, que rien n'est dû au hasard dans cette oeuvre. Il fait fort au point d'avoir posé un personnage à double face qu'on ne devine que dans les dernières lignes. Un être qui finalement est peut-être le plus abject des livres que j'ai lu de l'auteur. Cetro s'est joué de moi et de mes sentiments et là je dis chapeau l'artiste.
Cetro fait incontestablement partie des auteurs que l'on se doit de découvrir pour son univers irisé. Tantôt noir comme le tréfonds de l'âme humain, tantôt rouge comme le sang versé, tantôt vert comme l'amour et l'espoir qu'il manipule magnifiquement bien, tantôt blanc comme l'apaisement qu'il insuffle et la magie de ses mots. Méconnu du grand public pour avoir fait le choix de l'autoédition, il n'a pas la place qu'il mérite dans le panthéon des écrivains mais possède des soutiens de poids à l'image de la personne qui m'a fait découvrir cet ouvrage.