Savoureux : s'il fallait résumer «
La guerre des papilles » en un mot, ce serait « savoureux ».
Savoureux comme les desserts de folie préparés par Cat et Lucca, dont l'équilibre et l'explosion des saveurs nous sont décrites avec la même précision millimétrée que celle requise par leur préparation.
Lucie Castel a bien bossé son sujet : si je n'avais pas su qu'elle est juriste, j'aurais juré avoir affaire au récit d'une professionnelle de la pâtisserie.
Savoureux comme la plume de
Lucie Castel et les nombreuses punchlines qui parsèment le récit. Qu'il s'agisse des dialogues ou de la narration, le texte ne se départit presque jamais de son côté acidulé. C'est drôle, sans forcer.
“ – On n'a plus de carrés noir cédrat et whisky P & M ?
– Non, chef, c'est tout ce qui nous reste, répond Joshua, le responsable des ventes.
– Nous n'avons rien d'équivalent sur les plaques ? Parce que les bigotes vont sortir de l'église et elles vont toutes en vouloir.
– Nous avons un praliné à la liqueur d'arbouse et piments.
– C'est de l'alcool, elles prendront.”
Et des comme ça, il y en a presque partout. Ça fuse avec beaucoup de naturel, entre Lucca et son caractère cynique, le côté blasé de Cat ou les terrifiantes Elena et Blanche, les matriarches qui font la pluie et le beau temps (mais surtout l'orage) à Sartène. Même Dom, doux comme un nounours, ne manque pas de traits d'humour à l'occasion.
Savoureux comme des personnages juste assez loufoques pour être attachants tout en restant crédibles. L'autrice joue avec les clichés sans pour autant tomber dans la caricature, entre le gars un peu acide mais pas trop, une héroïne cabossée mais pas pathétique, de fières cheffes de clans Corses certes fort peu commodes mais pas antipathiques, un frère avec une façon un peu naïve de voir les choses mais pas bête pour autant, et l'inénarrable Ursula, l'employée un peu bimbo qui ne risque clairement pas de réinventer la poudre mais possède d'autres qualités, dont un sens du commerce imbattable. Comme en cuisine, en somme : tout est question de dosage et ici,
Lucie Castel a parfaitement maîtrisé sa recette. On regrettera juste de ne pas voir davantage le chat. Ou que certains, comme Natalie ou
Marc-Antoine, soient finalement un peu en retrait.
Ceci dit, si l'aspect guerre des clans n'est en fin de compte pas si présent que ça, on a tout de même droit à plusieurs intrigues secondaires. La première étant liée à la stérilité de Cat, que
Lucie Castel aborde avec délicatesse, prouvant qu'il est tout à fait possible d'aborder des sujets graves sans tomber dans le mélo. La romance n'arrive d'ailleurs pas avant la seconde moitié du récit. Si elle s'intègre parfaitement au reste et paraît plutôt naturelle, elle apparaît plus comme un bonus que comme le sujet du récit.
La guerre des papilles est une histoire de réconciliation, pas seulement entre deux familles rivales, mais surtout celle de Cat avec elle-même.
Alors certes, tout n'est pas parfait. Certaines ficelles tombent un peu comme un cheveu sur la soupe (notamment l'affaire du magazine), d'autres auraient mérité un peu plus de développement (l'histoire et l'évolution de Charlotte). Mais franchement, on le remarque à peine et on passe outre facilement car on rit beaucoup, on rêve de l'été Corse et surtout, on se régale à chaque description de dessert. C'est léger, c'est frais, sérieux à l'occasion, mais jamais écoeurant !
Définitivement l'une de mes meilleures lectures depuis le début de l'année.