Vous avez déjà remarqué comme le hasard pouvait régulièrement vous faire enchaîner deux romans aux coïncidences troublantes ?
Des prénoms, des lieux, des thèmes qui sont comme des traits d'union.
A peine avais-je refermé
L'accompagnateur de
Sebastian Fitzek dans lequel des épouses et mères étaient victimes d'un conjoint pervers et violent que je replongeais dans le même cauchemar, plus d'un demi-siècle auparavant.
A croire qu'il n'y a pas une époque pour rattraper l'autre.
Ni un milieu social.
Ce qui différencie les hommes de ces romans, c'est que là où
Fitzek nous faisait rencontrer un mari à la méchanceté et au vice gratuit,
Christian Blanchard dresse la psychologie beaucoup plus détaillée d'un ancien agriculteur devenu ouvrier à Dieppe, et qui va se consoler d'avoir raté sa vie professionnelle à grand renfort de pastis.
"Chez Robert l'alcool faisait ressurgir une colère enfouie depuis des années. Les autres étaient les coupables de son mal-être, de ses problèmes."
Vient la première gifle et les premiers regrets.
"Je te promets que je recommencerai pas. Je suis sincère. Je t'aime."
Et puis les coups se multiplient et Robert ne s'excuse même plus auprès de Marie, son épouse. Et c'est la descente aux enfers.
D'autant qu'il est loin d'épargner leur fils unique, chétif et solitaire, prénommé
Antoine comme vous l'aurez sûrement deviné.
Agressions verbales, travaux forcés en pleine nuit, coups de ceinture...
Robert est malheureux, alcoolique, et la violence est devenue son seul moyen d'expression, comme si elle faisait de lui un homme.
Il inspire la peur mais certainement pas le respect auquel il aspirerait sous son toit.
Et j'en resterais là parce que
Christian Blanchard déconseille lui-même à ses lecteurs de lire une quatrième de couverture effectivement trop bavarde.
Ce roman, c'est la biographie d'
Antoine, en partie rédigée au présent sous la forme de carnets écrits dans un hôpital psychiatrique, en alternance avec le roman proprement dit où on le comprend davantage même s'il est avare de mots au quotidien.
Ne pas parler, c'est une forme de carapace.
"Etre transparent, se faire oublier."
"
Antoine s'enferme dans sa bulle."
"Jouer la soumission."
Ce jeune garçon, que l'on verra progressivement grandir en particulier dans les années 70-75, qui vit davantage entre les lignes de livres d'aventure que dans la vie réelle.
Il faut dire aussi que toutes les cartes pour avoir une enfance heureuse ne lui ont pas été distribuées à la naissance.
Antoine provoque énormément d'empathie chez le lecteur, d'autant qu'il ne fera que tomber de Charybde en Scylla.
Il y a un peu de
Karine Giebel chez
Christian Blanchard, sa complice littéraire qui l'avait convaincu de remettre le manuscrit de son roman le plus connu -
Iboga - aux éditions Belfond.
Divisée en quatre époques et autant de lieux distincts, c'est surtout dans la seconde partie que j'ai retrouvé toutes les sensations que j'avais eues à la lecture de
Glen Affric. Ils sont physiquement aux antipodes l'un de l'autre, intellectuellement également, et pourtant il y a tellement de Léonard chez
Antoine.
Ce sont des victimes. Ce sont des proies. Qui ne veulent ou ne peuvent pas se défendre.
Sentiment de malaise et d'injustice, on s'insurge et on voudrait pouvoir intervenir à notre tour en entrant dans le roman et en disant à
Antoine qu'il lui faut parler, que la solitude et le mutisme ne sont pas des solutions face aux préjudices subis.
Et à l'instar de
Karine Giebel,
Christian Blanchard montre à quel point les systèmes judiciaires et carcéraux, les centres de détention, sont souvent totalement inadaptés et brise davantage les êtres déjà abîmés plutôt qu'il ne les répare.
C'est un roman noir, vraiment très noir, mais à l'écriture assez subtile pour éviter toute complaisance. D'autant que l'auteur parvient à nous surprendre en nous offrant par la suite une longue accalmie. Plus besoin d'aider
Antoine, d'autres vont pouvoir le faire à notre place et s'attacher à leur tour à ce garçon. L'aider, s'il accepte les mains tendues.
"J'écris une page de bonheur et c'est suffisamment rare pour être souligné."
Enfin, on se souciera de lui et on lui donnera des armes pour que son existence puisse ressembler à celle de n'importe quel autre jeune homme de son âge.
Est-ce que ce sera suffisant ?
Je suis sorti drôlement secoué, à plus d'un titre, de ce livre bouleversant.
Le principal sujet, au fond, c'est la question de la transmission de la violence. Il en sera question au moins en filigrane tout au long des trois-cent pages
"La violence de mon père était-elle héréditaire ?"
Ou du moins la reproduction, même involontaire, du schéma parental. Je doute que la brutalité soit génétiquement transmise.
Tout comme la colère.
Mais cette rage existe pourtant bel et bien chez
Antoine, sous-jacente, et il lui faudra la canaliser.
"Cette envie de punir, de voir mourir sous mes coups ceux qui semblaient vouloir me briser, encore ?"
"Il y avait dans ses yeux une rage inconnue qui lui fit peur."
"Au contraire, la colère semblait peu à peu prendre le dessus, de plus en plus forte."
Pourvu qu'il ne fasse pas de grosse bêtise, ne peut-on s'empêcher d'espérer.
Même si sa présence à l'asile, bourré de médicaments, avec le droit d'écrire son histoire une heure par jour avec un crayon pas trop taillé, n'augure rien de très joyeux sur le long terme.
C'était mon premier round avec cet auteur.
Un uppercut.
Christian Blanchard : 1
Antyryia : 0