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EAN : 9782234096868
220 pages
Stock (13/03/2024)
3.71/5   53 notes
Résumé :
Un soir ordinaire de violences conjugales, quand la victime consentante dit non, et ôte la vie de son compagnon et persécuteur.
A la croisée des chemins et des tribunaux, autour de Diane, avocate, se nouent et se dénouent les destins. Laura accusée du meurtre de son conjoint, la petite Jeanne victime d'inceste, qui va tenter de se reconstruire.
Comment certains ont pu se retrouver là ? Que vont-ils devenir ? On les découvre, on s'y attache, on vit av... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (18) Voir plus Ajouter une critique
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L'avocate, sa cliente et la cour d'assises

Tiphaine Auzière est avocate. Aussi a-t-elle choisi pour son premier roman de nous entraîner dans les pas d'une consoeur fictive, en charge de délicats dossiers d'affaires familiales. Une plongée réussie dans un milieu que chacun croit connaître, souvent à tort.

«On ne sort jamais indemne d'une cour d'assises, qu'on y soit victime, accusé ou auxiliaire de justice». En choisissant de retracer les affaires dont Diane, avocate installée à Montreuil-sur-Mer sur la Côte d'Opale, Tiphaine Auzière nous démontre route la justesse de cette affirmation. Quand nous faisons sa connaissance, elle se rend au tribunal de Boulogne-sur-Mer pour y retrouver Jeanne, une fillette victime d'inceste. Il lui faut user de beaucoup de pédagogie, d'humour et d'empathie pour pouvoir entendre l'histoire de cette enfant. Un premier dossier qu'elle mènera à bien et qui assoit sa réputation d'avocate aussi ambitieuse que tenace.
Et de la ténacité, il va lui en falloir pour défendre Laura, qui se retrouve derrière les barreaux pour avoir assassiné son conjoint. Un coup de couteau porté au cou qu'elle ne nie pas et des aveux qu'elle accompagne d'un mutisme qui ne va pas faciliter la tâche de celle qui entend la défendre. Tout au long de l'instruction qui nous est ici détaillée jusqu'au verdict final, Diane va user de toute son expérience, de sa connaissance des méandres de la justice et des secrets de la procédure pour réussir à atténuer la peine encourue par sa cliente.
Pour cela, elle va même devoir user de son charme qui n'a pas échappé au procureur et avec lequel elle va jouer une danse très troublante.
Au fil des entretiens au parloir avec Laura, elle va chercher à gagner la confiance de la prévenue, à l'amener à lui ouvrir d'autres perspectives qu'une vie derrière les barreaux, en bref à se défendre après avoir subi pendant des années des violences conjugales.
Bien entendu, il n'est pas question ici de dévoiler l'issue du procès, par ailleurs très bien raconté, mais bien de souligner qu'effectivement il va changer la vie de tous ceux qui l'ont vécu. L'avocate et sa cliente, mais aussi les magistrats et les jurés, autres rouages essentiels de cette justice qu'on aimerait toujours juste.
Avec beaucoup de finesse et de sensibilité, Tiphaine Auzière nous fait partager les doutes et les interrogations des uns et des autres, rendant toute son humanité à une institution à laquelle il arrive d'en manquer cruellement. Mais pour la fille de Brigitte Macron, il n'est pas question d'écrire un réquisitoire soulignant les failles de l'institution, mais bien davantage de faire preuve de pédagogie et de nous faire découvrir le fonctionnement d'un tribunal. Exercice parfaitement réussi pour l'avocate qui peut désormais se targuer d'avoir rejoint les autrices qui l'ont inspirée comme Delphine de Vigan avec Les Loyautés et Karine Tuil avec Les Choses humaines. Un duo auquel j'associerai également une autre primo-romancière, Claire Jéhanno avec La Jurée. Car j'ai perçu là aussi, derrière le besoin de partager une expérience et un univers, l'envie – sinon le besoin – d'écrire. Un second roman viendra sans doute étayer cette hypothèse, du moins je l'espère.
NB. Tout d'abord, un grand merci pour m'avoir lu jusqu'ici! Sur mon blog vous pourrez, outre cette chronique, découvrir les premières pages du livre et en vous y abonnant, vous serez informé de la parution de toutes mes chroniques.


Lien : https://collectiondelivres.w..
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Je remercie #NetGalleyFrance et les Éditions Stock pour cette belle découverte !

Diane est avocate, elle plaide aux Assises pour défendre plusieurs femmes. Jeanne, très jeune victime d'agressions sexuelles de la part de son beau-père. Laura, victime de sévices qui s'est rebellée contre la perversité de son conjoint. Sandrine victime de harcèlement professionnel (non professionnel, justement) ; Karine accusée de « non-dénonciation de crime »... Au détour des préparations et audiences, Diane croise la route de César, procureur qui ébranle ses certitudes de femme mariée et maîtresse absolue de son quotidien.

"Le bruit de la souffrance de ces femmes fracassa la salle d'audience."

L'histoire se concentre sur la fin de la procédure autour de Jeanne et le procès de Laura. Une enfant et une femme victime de barbaries masculines. Les autres clientes sont en fait des "faire-valoir" permettant de varier les situations. Je me suis rapidement attachée à Jeanne et Laura, tellement différentes et si touchantes à leurs manières. Elles ont en commun d'avoir réussi à se libérer de l'emprise de leurs bourreaux, tout en ressentant une certaine forme de manque à l'issue de cette libération... Diane se porte en héraut de la libération de leur parole, à défaut d'être libératrice de leur culpabilité ou de leur courage.
Quant à l'intrigue entre César et Diane, j'ai craint que ce soit malvenu au milieu de tous ces drames. Pourtant, leur liaison permet de mettre en lumière d'autres aspects des relations homme/femme. Tout interdit leur rapprochement : leurs situations personnelles, leurs passés, leurs postes, les lieux qu'ils arpentent... leur attirance n'en reste pas moins irresistible, à moins que...

La plume de Tiphaine Auzière est tantôt factuelle, tantôt tranchante, tantôt poétique, et toujours sans "misérabilisme"... Elle adapte parfaitement ses mots aux situations. Lyrique quand il s'agit de sentiments honorables, acérée quand il faut décrire des atrocités (le cas de Jeanne donne la nausée tant il est empreint de réalisme), pudique lorsqu'elle aborde les questions de culpabilité et de Droit... Son écriture est surtout très immersive : on s'y croirait... que ce soit dans les tribunaux, en prison ou dans l'intimité d'une "association de malfaiteurs". Les ambiances sont prégnantes et pertinentes. Les descriptions aussi factuelles qu'émotionnelles du procès de Laura et les précisions quant au déroulé des procédures légales induisent une grande maîtrise du sujet. [J'ignorai tout de Tiphaine Auzière durant les 140 premières pages...] Enfin, le rythme impulsé est parfait : ni lenteur, ni bâclage. L'autrice réussit à approfondir ces sujets difficiles en moins de 200 pages : bravo !

#Assises #NetGalleyFrance
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J'ai eu beaucoup de mal avec ce livre. Les points positifs, ce sont les thèmes abordés et le procès principal de l'histoire, celui de Laura victime de violences conjugales et qui a tué son mari. J'y ai trouvé ce pour quoi je voulais lire ce roman, les plaidoiries, les témoins, les questionnements et l'émotion que ce type de situation suscite. Mais c'est un moment très court du roman. D'autres affaires sont abordées bien plus vite, trop vite et parfois pas reprises ensuite.
Ce qui m'a vraiment gênée [attention risque de SPOIL]:
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Il s'agit d'un premier roman d'une avocate de 40 ans dont le portrait en première de couverture évoque celui de sa mère.

Point trop d'éléments biographiques mais une illustration de son métier d'avocate et des cours d'assises d'où le titre. Ajoutons une histoire romanesque d'amour non contrarié mais hésitant à se mettre en place. Faut il sacrifier la tiédeur d'une vie familiale que d'aucun pourrait envier à celle d'une braise ardente mais à l'avenir refroidi.

Assises.
Deux histoires, celle de Jeanne 10 ans victime d'un inceste beau parental. Cette histoire n'est guère développée.
La deuxième, le coeur du livre, Laura, femme violentée par son conjoint qu'elle finit par tuer.

Jugement.
Puisqu'il s'agit de juger, jugeons.

Quelques points négatifs.

Le style.
P 15. Cet ancien policier, devenu magistrat, formé auprès de psychologues, se remettait sans cesse en question, se réinventant à chaque affaire ….
Commentaire, dieu, qu'est ce qu'on se réinvente aujourd'hui.
P 18 elle percevait en elle une résilience et une force dont bien des adultes pourraient se targuer.
Commentaire. Ne nous targuons pas trop et soyons plus nature.
P 53. Chaque mot qui franchissait ses lèvres était filtré par le checkpoint de ses lèvres.
No comment.

Jeanne.
P 215. Une tirade hugolienne.
Une fille de 10 ans ne parle pas comme cela.

David, la brute assassinée.
P 108. depuis qu'il était enfant, David était habité par une colère qui faisait échouer nombre de ses projets.
Un peu court comme explication. D'où vient cette colère ?

Positif.
Le procès. Une montée en puissance bien maîtrisée qui tient en haleine le lecteur.

Discutable.
Plaidoirie partie civile. Bien. L'avocat fait son boulot, il y avait d'autres solutions que le meurtre et un permis de tuer ne doit pas être impunément délivré.
Plaidoirie procureur, plus humain, je vous laisse découvrir.
Plaidoirie Diane. Se met dans la peau de Laura et raconte la journée fatidique avec une dramaturgie prenant de l'ampleur au fil du discours. Problème, vérité ou effet de manche ?

La phrase de la fin ainsi que j'aime à les citer. Face à face, mais ensemble, enfin libres et debout.

Commentaire. Retrouver sa liberté c'est bien, ne pas la perdre c'est mieux.
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Étant une inconditionnelle des romans procéduraux, j'étais très curieuse de découvrir ce roman, qui aborde une thématique ô combien importante. Un immense merci aux éditions Stock et à Netgalley !

Dans ce roman, le personnage central, Diane, est une avocate pénaliste, chargée de défendre plusieurs femmes dans des affaires dramatiques : Jeanne, une petite fille victime de viol par son beau père, Sandrine, une femme victime de harcèlement ou encore Laura, une femme accusée d'homicide volontaire sur son mari, qui la battait quotidiennement. En parallèle, la route de Diane croise de César, un procureur, qui travaille avec elle dans certaines affaires.

Le roman est d'une réalité tangible. le style procédural du roman nous met les pieds sur terre et nous embarque dans les méandres du système judiciaire français, pour mon plus grand plaisir ! Tout y est raconté avec un réalisme saisissant : la préparation d'un dossier d'assises, le réquisitoire du procureur, les plaidoiries des avocats. Ce réalisme tranche nettement avec l'émotion qui se dégage du roman. L'autrice met en avant des aspects de la procédure pénale, certes, mais tout en y ajoutant des touches émouvantes, qui rendent le livre profondément humain.

Les histoires de Jeanne, cette petite fille d'un courage impressionnant, et de Laura, cette femme perdue qui a connu l'enfer, sont saisissantes. Elles m'ont marqué ! Ces histoires sont nécessaires et nous parlent de reconstruction, de courage, d'abnégation et de rédemption. le petit côté romance que l'autrice a choisi de développer m'a déstabilisé au début de ma lecture. Puis au final, je trouve qu'il apporte un peu de douceur dans le monde très sombre et très materiel qui est celui de la cour d'assises. Ce n'est toutefois pas ce que j'ai préféré et cette romance ne m'a pas semblé indispensable au roman.

Assises est une très belle surprise, un roman à la fois matériel et puissant, sublimé par une plume tantôt aiguisée, tantôt poétique. Il met en évidence les pires rapports hommes/femmes qui existent, mais ce que l'on retient, c'est que ces histoires de violence domestique sont surtout des histoires de résilience.
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critiques presse (4)
LaLibreBelgique
18 avril 2024
"Assises": le premier roman de Tiphaine Auzière, la fille de Brigitte Macron, se noie dans l'eau de rose.
Lire la critique sur le site : LaLibreBelgique
LaLibreBelgique
18 avril 2024
L’avocate, auteure et fille de Brigitte Macron vient de publier son premier roman, “Assises”. Un livre qui évoque les violences faites aux femmes. Toutes les violences et toutes les femmes.
Lire la critique sur le site : LaLibreBelgique
Culturebox
22 mars 2024
Dans les pages de son ouvrage, Tiphaine Auzière traite de sujets sociétaux, à l'instar des violences faites aux femmes, l'inceste, les violences conjugales.
Lire la critique sur le site : Culturebox
Culturebox
21 mars 2024
Tiphaine Auzière publie Assises (éditions Stock), un roman au travers duquel l'avocate réalise une radioscopie très humaine de la justice française au quotidien, de ceux qui la vivent et de ceux qui la rendent, avec un thème fort : l'emprise.
Lire la critique sur le site : Culturebox
Citations et extraits (15) Voir plus Ajouter une citation
« Jeanne retourna s’asseoir en prenant au passage la poupée qui était sur l’étagère. Après quatre auditions, elle savait ce qui l’attendait. La figurine était le témoin de son effraction corporelle. D’abord la déshabiller puis la caresser, la toucher, au niveau des cuisses, de la poitrine, en terminant par les fesses et le sexe. Son beau-père suivait toujours le même rituel dès que sa mère était absente. Jeanne mimait les gestes presque mécaniquement. Sa mémoire corporelle était intacte tandis que son cerveau semblait ailleurs. »
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« …au-delà de la sanction, le Code pénal vise aussi la réinsertion. Le système des peines est basé sur la croyance que l’homme peut apprendre de ses erreurs, changer et se réinventer. Mais, pour changer, encore faut-il se rappeler qui on est. »
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« Elle avait décidé de se défendre seule, autrement dit d’organiser son suicide judiciaire. »
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(Les premières pages du livre)
Jeanne patientait sur une chaise, ses pieds ne touchaient pas le sol. Elle semblait si petite dans ce couloir interminable. Tout était sombre, sauf elle. Elle avait mis une robe en jean, des baskets neuves et un nœud rouge pour attacher sa queue-de-cheval blonde. Elle paraissait prête et déterminée au milieu de ce dédale du tribunal judiciaire de Boulogne-sur-Mer.
Un enchevêtrement de chemins, de recoins, dans lesquels se côtoient victimes, coupables et auxiliaires de justice. La lumière y est artificielle, l’angoisse réelle et le brouhaha permanent. On y court, on y attend, on craint autant que l’on espère. Même si parfois l’air est difficilement respirable. Une cohabitation bruyante, surprenante, normée, où chacun a sa place, son rôle, son temps d’audience.
Ce jour-là, dans le couloir de l’instruction, devant le cabinet 2, on pouvait apercevoir une succession de chaises vides puis cette petite fille aux yeux marron qui serrait son doudou contre son cœur. Elle emplissait tout l’espace par sa présence. Jeanne était ce paradoxe de la jeunesse et de la maturité. Face à elle, Sandra, sa maman, s’agitait, tournait en rond, froissant nerveusement la convocation qu’elle tenait dans sa main. Ce 1er septembre 2016, c’était le jour de leur audition devant M. Deiss, juge d’instruction en charge du pôle des mineurs.
Jeanne avait tenu à prendre son cartable, elle voulait se rendre à l’école dès sa sortie du tribunal. Elle aurait préféré faire sa rentrée comme tout le monde, à 9 heures, avec ses amies et le mot d’accueil du directeur. D’autant que c’était sa dernière année en primaire. Mais depuis un an, la vie de Jeanne n’était plus tout à fait normale.
C’est de cela qu’elle devait parler ce matin alors qu’elle aurait aimé se taire. La petite fille joyeuse et bavarde aurait souhaité qu’on arrête de la questionner. Ou alors qu’on l’interroge sur son chien, ses copines, les menus de la cantine, mais pas sur ça. Ça, comme elle l’appelait, c’était le viol qu’elle avait subi par son beau-père quand elle avait huit ans.
« Maman, quand est-ce qu’elle arrive ? On en a pour longtemps ?
– On parle de moi ? Je te manquais déjà, Jeanne ? rétorqua une jeune femme souriante.
– Si vous saviez, elle n’arrête pas de vous réclamer depuis ce matin, maître Delaurel. Elle est très énervée parce que c’est la rentrée.
– Ah oui, j’avais oublié ! »
Diane Delaurel sortit de sa sacoche en cuir sa robe d’avocat.
« Comme d’habitude, à toi puis à moi ? »
Jeanne sauta de sa chaise avec un hochement de tête satisfait. Elle enfila la robe, fit quelques pas dans le couloir, puis défia sa mère et Diane en tendant un bras vers elles.
« C’est moi, maître Jeanne.
– Alors dites-moi, maître, vous avez une stratégie pour notre rencontre de ce matin avec M. Deiss ? lui demanda Diane.
– Garder le silence. »
Tout était dit. Jeanne était toujours ainsi, déconcertante de vérité.
« J’entends, maître, mais permettez-moi de vous proposer autre chose. Pour cela, accepteriez-vous de vous approcher ? »
Intriguée, Jeanne s’avança vers son avocate qui lui tendit un petit paquet dont elle s’empressa de déchirer le papier cadeau. Elle découvrit un carnet de notes, une trousse et un joli stylo plume gravé à ses initiales.
« Ouah, vous n’aviez pas oublié du tout !
– Que c’est la rentrée. Que j’accompagne la petite fille la plus incroyable que je connaisse et qu’elle mérite bien un cadeau pour cette nouvelle année scolaire ? Ou que tu dois me rendre ma robe ? Non, je n’ai pas oublié. »
Jeanne fit un dernier pas de danse avant de rendre à Diane son armure.
« Ce stylo et ce carnet, c’est pour te permettre d’écrire et dessiner ce que tu veux et de me le montrer ou non. Notre aventure continue, avec cette audition et, dans quelques mois, le procès aux assises. Sans doute auras-tu des questions, de la colère, de la tristesse, ou peut-être voudras-tu juste faire une BD de toi et moi ?
– Ça me plairait bien, ça, mais je vais réfléchir.
– En attendant, ce matin, j’ai besoin de toi maître Jeanne pour m’assister. Il faut que tu répondes une dernière fois à M. Deiss pour qu’il puisse terminer son rapport afin d’aider les juges aux assises. En es-tu d’accord ?
– Je vais essayer. »
M. Deiss, qui avait suivi la scène à l’autre bout du couloir, s’était bien gardé de se montrer ou d’intervenir. Cet homme de loi, proche de la retraite, à la patience infinie et l’écoute attentive, connaissait la difficulté de l’exercice qui attendait la petite. Comment faire parler un enfant de choses dont il devrait tout ignorer à son âge ?
Cet ancien policier, devenu magistrat sur le tard, avait voué sa vie aux mineurs. Il s’était formé auprès de psychologues, se remettait sans cesse en question, se réinventant à chaque affaire pour être en capacité de rendre des instructions cohérentes et objectives pour ses pairs, dans le respect des jeunes victimes.
Il faut dire qu’il œuvrait dans un tribunal hanté par le fantôme de l’affaire Outreau. Ce procès, qui avait eu lieu douze ans plus tôt, mettait en cause dix-sept adultes pour des faits de viols, de corruption de mineurs ou encore de proxénétisme sur douze enfants. Des habitants de Boulogne et des environs dont le bruit des pas retentissait encore dans le couloir de l’instruction. Tout le monde gardait à l’esprit la décision de la cour d’appel de Paris de novembre 2005 qui avait fini par innocenter treize des mis en cause au motif notamment d’une dénonciation mensongère de certains enfants souffrant d’un syndrome d’aliénation parentale. Face à cette débâcle judiciaire, le garde des Sceaux de l’époque, Pascal Clément, ainsi que le président Jacques Chirac avaient même présenté leurs excuses au nom de l’institution judiciaire. Des excuses à qui ? Et pourquoi ? Aux adultes, évidemment, pour avoir été privés injustement de leur liberté. Ceux dont la réputation et la vie sociale avaient été définitivement ruinées sur l’autel médiatique.
Quid des enfants ? Hélas, pas un mot sur ces victimes collatérales du rouleau compresseur de la justice. Ces enfants violés, à la fois victimes et coupables d’un système qui n’avait su ni les entendre ni les protéger.
L’erreur judiciaire avait mis en lumière deux dysfonctionnements majeurs que le tribunal de Boulogne s’efforçait d’oublier et de corriger. D’une part, l’isolement du jeune magistrat, chargé d’enquêter seul sur une importante affaire de pédophilie. Il lui avait été reproché d’avoir instruit contre les accusés et non à charge et à décharge, comme le lui imposait la loi, pour connaître la vérité. À cela, il fallait remédier par la collégialité en assurant aux magistrats instructeurs la possibilité de traiter à plusieurs ce type de dossiers pour permettre à chacun de partager ses doutes, remettre les autres en question, éviter l’erreur. Et surtout repenser la manière dont on recueille la parole des enfants. Des mots qui défilent parfois sous la contrainte, les conflits de loyauté, ou qui reprennent la parole d’un adulte ayant autorité. Comment faire parler et entendre un enfant ?
Avec les années, le juge Deiss n’avait acquis aucune certitude. Il vivait de ses doutes, qui le rendaient humain, sensible et assurément juste. Tous regrettaient son départ prochain à la retraite. Ainsi, dans ce couloir du tribunal de Boulogne-sur-Mer, il était ému par la scène qu’il venait de voir entre Jeanne et son avocate. Cette complicité de cour, ces instants volés et des rires qui, même entre ces murs, pouvaient résonner.
« Bonjour, Jeanne, madame, maître Delaurel. J’ai cru comprendre que j’aurais affaire à deux avocates ce matin, j’ai intérêt à bien me tenir. »
Ils entrèrent dans son bureau.
« Jeanne, tu connais mon poisson presque rouge, Maurice ?
– Oui. Je peux lui donner à manger, comme la dernière fois ?
– OK, et après on commence, ça te va ? »
Jeanne s’approcha du poisson et versa quelques granulés dans l’eau.
« Regardez, maître, il est comme moi, il ne tourne pas tout à fait rond dans son bocal. »
Jeanne retourna s’asseoir en prenant au passage la poupée qui était sur l’étagère. Après quatre auditions, elle savait ce qui l’attendait. La figurine était le témoin de son effraction corporelle. D’abord la déshabiller puis la caresser, la toucher, au niveau des cuisses, de la poitrine, en terminant par les fesses et le sexe. Son beau-père suivait toujours le même rituel dès que sa mère était absente. Jeanne mimait les gestes presque mécaniquement. Sa mémoire corporelle était intacte tandis que son cerveau semblait ailleurs. Il n’y avait plus qu’en ce lieu qu’elle jouait à la poupée. À la maison, elle les avait toutes jetées.
Son avocate la regardait avec admiration autant qu’avec compassion. Elle percevait en elle une résilience et une force dont bien des adultes ne pouvaient se targuer. Une fois l’exercice terminé, les yeux de Jeanne se rallumaient.
« C’est bon, j’ai tout bien fait ? On peut y aller ? »
Jeanne souffrait du « syndrome du premier de la classe ». En présence du juge, ou de son beau-père, elle cherchait toujours à être la meilleure, à faire plaisir aux autres.
« Jeanne, tu sais ici il n’y a pas de notes. Et moi, ce qui me rend heureux, c’est déjà ta présence et que tu acceptes de répondre à mes questions. Tes réponses t’appartiennent et, pour ton âge, tu fais déjà sacrément entendre ta voix. Alors, ce qui compte, c’est ta vérité. Pas celle que l’on a pu te demander de raconter. Pas celle que tu aurais envie de dire pour épargner ta maman, ton beau-père ou le reste de ta famille. Celle que tu ressens, qui est juste, pour nous permettre de faire notre travail. »
Jeanne poussa un léger soupir de soulagement et regarda son avocate.
« De toute façon, je ne connais qu’une seule histoire, la mienne. »
Cette phrase sonna la fin de l’audition et la clôture prochaine de l’instruction.
« Jeanne, si on allait manger un welsh pour fêter ça ? À moins bien sûr que tu préfères aller à la cantine, lui lança Diane.
– Ah oui ! Hein, maman, je peux ? »
Sandra hocha la t
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Diane en profita pour lui remettre une trousse de toilette dans laquelle elle avait pris soin de placer quelques produits de beauté.
"Bonne année Laura. J'espère qu'elle vous procurera l'apaisement auquel vous aspirez."
La jeune femme ne dissimula pas son émotion. Elle n'avait pas l'habitude de tant d'égards.
"Je n'essaye pas d'acheter votre confiance, ne vous méprenez pas, c'est seulement pour que vous puissiez vous faire belle au procès. Je compte sur vous, plus que sur ma plaidoirie, pour séduire les jurés."
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