Pure merveille littéraire, graphique, et lecture choc !
Il y a des romans graphiques si extraordinaires que lorsque je les ramène à la bibliothèque, je me rends directement après à la librairie pour en faire l'acquisition. C'est rare, et c'est ce qui est arrivé pour “
Le ciel dans la tête”.
Première page, toute noire, un mot : “Congo”. une petite illustration au trait ocre dans le noir, de la terre, des roches ou de la matère organique. Deuxième page, pareil, un trou bleu clair s'ouvre dans la petite illustration, troisième page, le trou s'agrandit et enfin quatrième page le récit commence, Nivek travaille dans une mine, il était enseveli sous la terre, son ami va le sauver. Là, la mise en page devient alors tentaculaire, on ne devine pas immédiatement qu'il s'agit d'une mine tant les enfants sont en âge de jouer aux châteaux de sable, un soldat en arme en bas de la page à gauche nous donne cependant un premier indice, en bas au centre deux mains se lient, comme un emblème d'entraide, qui va contraster avec ce qui suit.
On va découvrir dans les pages qui suivent immédiatement, un récit terrible, le graphisme utilise les mains, les pieds pour articuler la mise en page, des déformations les agrandissant, les corps s'allongent, dégingandés, secs et souples, c'est tout une chorégraphie qui accompagne l'horreur des mines du Kivu, avec des enfants esclaves, des enfants soldats, on découvre au fil des pages une économie de l'horreur, une religion guerrière factice, un rituel pseudo-magique pour embrigader les enfants, un mépris de l'humain, de la mort, de la vie, orchestré en arrière plan par des compagnies internationales sans scrupules.
Les vingt premières pages de cet album sont d'une dureté incroyable, scènes de viols, de meurtres, de cruauté. le graphisme est fort, le trait est dur, les couleurs sont travaillées en aplats de couleurs intenses, les visages ressemblent à l'iconographie africaine, traits marqués, parfois juste des silhouettes, bras et jambes interminables. Chaque illustration est une icône, chaque mise en page est un univers, n'hésitant pas à changer la circulation de lecture, en harmonie avec ce qui est raconté dans la page, les rythmes changent, c'est chorégraphique, c'est aussi musical et mes autres sens sont aussi mis en éveil.
Nivek et Josef sont pris dans cet engrennage d'esclavage et de violence, ils vont parvenir à s'enfuir et vont tenter de gagner l'Europe. Les chapitres suivants s'appellent La Jungle, La Savane, le Désert, Lybie… Une longue quête semée d'embûches, de violences, de tromperies, avec toujours ces illustrations évocatrices, emblématiques et d'une force incroyable. Voilà quelques jours que j'ai lu le livre, je regarde les illustrations, l'une d'entre elle me saisit, pleine page, je ne vous dirais pas laquelle, mais ma gorge se noue, les larmes ne sont pas loin, c'est encore plus violent qu'à ma première lecture.
C'est une lecture qui donne des émotions, qui provoque des réflexions sur le système économique du continent africain dont les grandes puissances mondiales sont les responsables, sur la gestion de l'immigration, une histoire de destin, d'espoir, très noire, poignante et très marquante.
Le ciel dans la tête est un livre époustouflant, d'une puissance rare, un monument.