Cependant, Laura avait très vite découvert que loger un mort à Paris était plus ardu encore que dénicher un trois-pièces abordable. C'était la flambée des prix et la saturation des places dans les cimetières intra-muros.
Le taxi quittait à présent l'atmosphère cotonneuse du pont qui reliait la péninsule aux nouveaux territoires aménagés sur la mer par des hommes jamais rassasiés.
Car oui, un joueur de poker n'était pas chanceux ou malchanceux, il chattait ou il déchattait. Marrant que ces messieurs utilisent l'appellation du sexe féminin pour désigner la chance... Insaisissable pour eux dans les deux cas.
S'asseoir dans les troquets était un réflexe chez Audrey depuis les commencements de sa vie parisienne. Elle en profitait, aidée par un gin-tonic, pour faire ses "voyages dans le passé". Se remémorer les choses, ça évitait de songer à l'avenir.
Toute son enfance, elle avait composé avec un irrépressible besoin de solitude qui tendait à mesure qu'elle vieillissait vers une misanthropie heureuse.
Vous savez, je suis joueuse de poker professionnelle. Un vrai rat de casino. Je crois que j'aime bien ça. Et puis, ça ressemble un peu à la vie, mais en accéléré. C'est les montagnes russes, ça monte, ça descend et entre les deux on s'ennuie. De toute façon, je ne sais rien faire d'autre...
Je m'enfonce sous la couette pour échapper à la menace. Car toutes les nuits, Daesh est tapi sous mon lit. J'épie le moindre grincement de plancher, les ombres sur les voilages, je rallume toutes les lumières, persuadée que quelqu'un va venir finir le boulot. "Attaque terroriste au domicile d'une jeune femme habitant rue Guénégaud." Merde, je ne veux pas mourir en pyjama.
L'alcool avait perdu son effet enivrant, il n'agissait que pour l'aider à tenir. Elle trinquait pour célébrer la vie, la seconde d'après elle vidait son verre pour oublier qu'elle était en vie
Elle s’attendait à raconter la même histoire à chaque fois et à surmonter la vision de leur visage terrifié. Et cependant, ils ne pourraient jamais vraiment comprendre cette nuit, en saisir toute l’horreur. Ils essaieraient. Ils visionneraient de multiples reportages, des reconstitutions en images de synthèse, des témoignages. Mais compliqué de pouvoir imaginer ce genre de choses. Pour eux, cela ne resterait qu’une abstraite atrocité.
J'entends le bruit des avions qui volent au-dessus de Paris. Ceux-là mêmes que je ne percevais pas avant et auxquels personne ne prête jamais attention.