Citations de Julien Dufresne-Lamy (322)
Il y a deux sortes de gens affreux dans la vie. Les gens qui ont un avis sur tout. Et les gens qui tendent la main à tous sauf à ceux qui en ont besoin.
Je crois que, comme toutes les plus belles déclarations d’amour, il y a des mots qui restent à jamais, pour peu qu’on change ou qu’on se relève des ruines, des mots qui creusent en soi, qui à perpétuité se nichent dans l’ADN, des mots tissés dans les fils de la chair, pour toujours indélogeables.
Avant, je pensais que sous les meubles, on ne cachait que les armes du crime. Les affaires sales. Les bouteilles d’alcool ou les boîtes de capotes. Maintenant, c’est différent. J’ai compris qu’on pouvait même y cacher une vie.
- Sur scène, tu dois être parfaite. Ni seulement belle. Ni seulement divertissante. Tu dois faire tomber les masques des gens. Tous ces rôles depuis la naissance. Le genre, la race, la famille. Ton rôle est de faire du flip-flops avec tout ça. Tu es drag. Tu n’es plus homme, pas exactement femme. Tu es en dehors. Tu es l’exemple que chacun incarne sa création. Inspire-les. Trouve des mots, des gestes. N’oublie jamais que tu t’adresseras à des individus de tous horizons. Des touristes. Des mecs et des nénettes sans histoire. Et peut-être qu’au fond de la salle, il y aura une vieille femme. Peut-être un homme esseulé. Un ado en recherche de sens. Une jeune fille mal aimée. Dis-toi que tu incarnes précisément ce que le monde leur interdit d’être. Montre-leur. Même si cela ne dure que cinq petites minutes. (...)
Il n’y a en littérature aucune justification à tenir. L’auteur peut tout. Il le doit. Contre le dogmatisme et la coercition, c’est sa seule obligation.
Les mentalités, c’est comme la régénérescence. Ça débarque à l’étroit et ça finit par s’assouplir.
[...] tu l'ignores, mais les voyages scolaires, c'est l'angoisse. Dans le bus, les gens dégueulent et on reste coincés dans l'odeur du vomi pendant des heures. On s'ennuie. On fricote avec n'importe qui et on le regrette après.
(p. 39)
- Nous sommes des centaures, des licornes, des chimères à tête de femme. C’est vrai que nous sommes les plus jolis monstres du monde.
Nous sommes un secret enfermé dans une boîte qu’il ne faut surtout pas ouvrir.
En bon scientifique, mon père nous avait employé des termes normatifs. Dysphorie de genre. Transidentité. Troubles de l’identité de genre. Non-congruence de genre. Ma mère n’y comprenant rien, mon père était passé au plan B. « Je suis une femme. A l’intérieur, une vraie. Ce n’est pas vraiment grave. Je t’aime. Je vous aime. Mais je n’ai jamais été un homme.
- N’oiblie jamais qui nous sommes, Victor. Nous sommes un petit pays fou dans la doublure du monde. Bric-à-brac de bric et de broc, clandestins, cachés dans les replis de la conscience. Nous devons montrer nos nuances, nos ratures, nos erreurs de la nature. Nous sommes une chose et une autre, tout et son contraire, nous sommes la perfection et ses défauts. Nous sommes des maharadjas sans visage, alités par la fièvre ou endiablés sur le dancing. On n’a pas peur du grabuge et de la nuit qui s’écroule sur les toits. Les drags et les trans meurent chaque jour mais on tient bon. On passe sous les échelles en ricanant. On ouvre les parapluies et brise les miroirs. On amadoue les mauvais sorts et les chats noirs parce que nous aussi, nous sommes de la chair de gouttière.
Des filles inutiles qui ne lui rapportent rien, qui ne servent à rien, sinon à montrer inlassablement son jeu de mauvais père, si mauvais qu’on ne pourrait même pas le qualifier d’indigne. (p. 175)
Mon père était plus silencieux que d'habitude. Il était concentré, ailleurs, son visage ressemblait à la mer après le passage de la grande vague.
Je pars explorer les couloirs du service.
Toutes les portes sont roses. Les plinthes aussi. Les encadrements et même certaines blouses des infirmiers. On dirait une immense barbe à papa oubliée au pied d'une fête foraine qui a depuis longtemps levé le camp.
Derrière nous, nous avons des siècles de sciences, de mathématiques, d’histoire, de lettres et de philosophie. Nous avons écumé les plus grands progrès de la Terre, les plus belles inventions, les connaissances des mondes les plus précises, et pourtant, pour le meilleur et surtout pour le pire, nous ne croyons que ce que nous lisons.
Nos vérités ne sont que nos perceptions.
- Alors tu fais quoi dans la vie, James ?
- Je suis drag-queen.
Portia et lui me dévisagent comme si j’avais prétendu être agent du KGB ou sorcière de Salem. Les deux autres filles sortent en trombe de la cuisine.
- On a bien entendu, là ?
Je confirme.
- Je fais du drag-queen depuis des années. Je viens d’Atlanta.
- Génial, dément. Mais c’est dingue. On veut voir !
Et d’un œil languide, les deux beatniks rétorquent :
- Ouais. Ok. Tu fais du play-back, quoi.
- Du play-back et d’autres choses parfois.
- Et comme quoi, par exemple ?
- Je couds, je danse, j’écris des textes, j’invente des numéros, des blagues, des gestes. Je fais la déco des clubs, du marketing et je de la com’. Je repartis des fonds, fixe les cachets, décide du line-up, règle les conflits, organise les plannings. Et sur scène, je réveille les gens. Mais je fais aussi du play-back.
Mais dans le calme de mon appartement, Camille s’active. Elle retrouve son passé, son enfance, ses souvenirs et ce sont des rendez-vous intérieurs qu’elle gardera toute sa vie. Revenir à son histoire, ouvrir les vieux tiroirs, je sais ce que ça implique, alors prends ton temps, lui dis-je et va à ton rythme.
L'important il le jure, c'est de demeurer, être observé, écouté, contrairement aux femmes silencieuses qui se volatilisent les unes après les autres.
1980, je débarque à New-York. (...)
À l’époque, tu sais, New-York est un Thanksgiving sous ecsta. Les rues transpirent. La ville dégouline, Down-town goutte d’une fièvre bordélique, crade et idéale. Les gens sont rock’n’roll, leurs visages ressemblent à des slogans, leurs sourires comme des pochettes de vinyle, le bandana sur le front, le denim défoncé aux genoux, le perfecto de cuir troué de pin’s multicolores et d’épingles à nourrice.
Je deviens titulaire, spécialiste en féerie. Je danse, je suis reine, je suis monstre, le conte est mon métier. Le public me siffle, les doigts en bouche, et quand j’intercepte leurs visages gavés d’extase, je pense à elle, à ses yeux de pierres précieuses, à sa voix minérale, à cette femme inouïe qui veille sur moi, en chuchotant, Plus personne ne se débarrassera de toi, mon Vampire.