La romancière Julie Héraclès (vous ne connaissez rien de moi), raconte comment elle s'est formée. #ecrire #écrire #écriture #ecriture #litterature #écrireunroman
L’homme à l’appareil-photo nous regarde, sidéré. Ma boule à zéro lui a coupé la chique. Il se recule. Il cadre. Il déclenche son appareil. Un souvenir de cette belle journée existera, quelque part. déjà le photographe se détourne. Déjà, je ne l’intéresse plus.
Chartres, 16 août 1944, à l’aube
Dans trois jours, j’aurai vingt-trois ans. Je vais mourir avant. Ils ne me louperont pas. Une balle dans la tête. Le sang gicle comme un geyser et me barbouille les yeux. Le monde devient cramoisi, puis tout noir. Je m’écroule, la gueule fracassée sur le pavé. Petit tas inerte qu’il faudra charrier dans la fosse commune.
Ces visions m’assaillent depuis des jours. Elles dansent la gigue dans mon cerveau, elles me trouent les entrailles. Il n’y aura pas de pitié pour moi. La pitié n’existe pas. La vengeance, oui. Les Allemands ont fusillé ceux de Chavannes comme des chiens en 42. Aujourd’hui, les vainqueurs ont changé de camp. Je n’aurai droit à aucune clémence. La pute du Boche va être butée.
Ça me fait du bien d’imaginer le pire. L’imaginer, c’est comme l’empêcher d’exister. Je me tiens bien droite, assise sur le banc de la table de la cuisine. Il fait sombre. L’électricité a été coupée et le soleil a toujours du mal à pénétrer la pièce. Je les attends. C’est pour ce matin. Plus rien ne les retient. Les Amerloques se sont pointés hier soir. Aucun doute là-dessus, c’est Madeleine qui me l’a dit. Elle sait tout, elle entend tout, Madeleine. « Reste tranquille, tout ira bien, ils vont juste faire déguerpir les derniers Allemands. Tu n’as rien à craindre, ma Simone. » Elle est gentille, ma frangine. Mais je n’écoute jamais ses conseils.
Hier, avant le couvre-feu, des clameurs ont retenti. Elles venaient de la basse-ville. Cris de joie ou cris de peur : j’ai eu envie de savoir. Moi qui me calfeutre depuis des mois, qui prends garde à ne pas respirer trop fort, j’ai déraillé. J’ai collé Françoise dans les bras de Maman et je suis sortie en trombe. Fallait que je respire. Fallait que je voie. C’était peut-être la dernière fois que j’étais libre dans ma ville.
(INCIPIT)
Une envie impérieuse.
Retrouver ma cathédrale.
Je lève les yeux. Elle est là, à la fois immense et gracile. Ses toits verts. Ses deux clochers imperturbables, l'un ciselé de sculptures, l'autre un peu rustre, sans fioritures. Je ne sens plus mes pieds, mais, étrangement, je n'ai pas froid. Je veux mettre un cierge. Pour le petit enfant qui grandit en moi. Je pousse la porte du pavillon royal. Je m'attends à l'obscurité habituelle. À la place, je suis saisie par une clarté aveuglante. Je crois vivre un miracle. Je revois la petite fille ardente que j'étais, celle qui espérait rencontrer la Sainte Vierge. Je me frotte les yeux. Et je comprends. La neige est entrée dans la nef. Elle s'est déposée dans les allées, elle forme des coussins blancs sur les prie-Dieu, elle veloute les contours des statues. Les panneaux de bois qui remplaçaient les vitraux depuis 1939 n'ont pas tenu le choc face aux intempéries. Des trous béants laissent passer le jour. Et la neige.
(p. 342)
Le violoniste joue, les yeux mi-clos, bougeant la tête par saccades. Sa mélodie semble s'envole, égratignant au passage les murs de la préfecture, puis rejoignant I'azur du ciel. C'est solennel. C'est gai. Je sens monter dans ma gorge un rouleau de larmes. Non, pas possible. Le 14 juillet et tout le tsoin-tsoin, rien à fiche, ça me passe au-dessus. Je me mords les joues. Et je reste, les yeux agrippés au petit bonhomme qui me file les poils.
Les mots se précipitent sur mes lèvres. Mais plus aucun son ne sort. Je commence à comprendre ce quil veut dire. Car, plus ça va et plus y en a, des indices, là, sous mes yeux, qui me narguent. J'entrevois des bribes de vérité et ça me fait mal au bide. Je veux pas la voir, cette vérité.
- Tu ne sais pas ce dont ils sont capables. Il suffit d'un mauvais pas et le malheur sera sur toi, ma petite soeur. Je t'en prie, reste tranquillement avec moi.
- Bah non, justement, j'ai envie de vivre et pas de moisir ici avec toi!
Les deux derniers mots mont échappé.
Il a été constaté qu'il se trouve encore des citoyens français qui ne respectent pas la législation des jours sans alcool édictée par la loi du 23 août 1940. Des sanctions seront prises à l'encontre des personnes prises en flagrant délit. Pour rappel, la consommation d'alcool est interdite les mardis, jeudis et samedis.
P 179
Ce qu'il ne sait pas, c'est que pour moi, embochée, ce n'est pas une injure. Il y a eu un moment , dans ma vie, où je me suis sentie plus allemande que française. Il y a même un jour où j'ai vibré en voyant le peuple allemand acclamer son Führer. L'Allemagne allait engendrer un monde nouveau, j'en suis persuadée.Tout ça c'est vrai. Tout ça, j'y ai cru. Même si c'est loin, maintenant. Je ne suis plus la même. À présent, j'ai trouvé d'autres raisons de vivre.
« Les salauds, les saints, j’en ai jamais vu.
Rien n’est ni tout noir, ni tout blanc, c’est le gris qui gagne .
Les hommes et leurs âmes c’est pareil ….. »
PHILIPPE CLAUDEL , les Âmes grises.
Aujourd'hui, vous m'avez rasé le crâne, vous m'avez marquée au fer rouge et maintenant vous m'insultez comme une chienne. Mais vous ne me détruirez pas. Vous n'aurez pas cette étincelle qui me pousse à continuer, envers et contre tout. Car, aujourd'hui, encore plus qu'hier, je suis forte d'un trésor inestimable. Un trésor que beaucoup d'entre vous passerez toute une vie à chercher et n'obtiendrez jamais. J'ai aimé. Et j'ai été aimée. Alors, allez-y, dégainez vos plus belles injures, crachez vos mollards. Peu importe ce qui m'arrivera au bout de cette journée. Je vous plains, vous qui me haïssez sans savoir. Car vous ne connaissez rien de moi.