C'était là une vision des choses typiquement tibétaine. La violence était comme une tempête, qui prenait dans ses griffes ceux qui la commettaient aussi bien que leurs victimes. Essayer de l'expliquer n'était que une perte de temps, il suffisait simplement de s'enterrer en lieu sûr et d'attendre qu'elle s'épuise d'elle -même.
Mon expérience au Tibet m'a enseigné une chose: aider mes ennemis est habituellement moins douloureux qu'aider mes amis.
Au Tibet, camarade, garder un secret signifie simplement qu'on n'en parle pas aux Chinois.
Shan se leva et, quittant le bâtiment, s'avança au-delà de la dernière maison du village, jusqu'au bord de la haute falaise où il se laissa battre par les rafales du vent furieux en essayant de se perdre dans l'immense vide qui s'étendait sous ses pieds. Chodron n'avait pas la moindre idée du cauchemar qu'il était en train de créer. Afin que cessent les tourments qu'il infligeait à Gendun et à l'inconnu dans le coma, le chef du village devrait être arrêté dans ses œuvres par un acte de violence délibérée. Mais si Shan levait ne fut-ce qu'une main sur cet homme indigne pour sauver Gendun, plus jamais il ne serait capable de s'asseoir au côté du vieux lama. Il s'était déjà vu contraint au mensonge, en son nom qui plus est, devant lui, pour lui épargner la cruauté de Chodron. Ce matin, il était parti du village pour trouver une réponse aux meurtres, cependant une seule et unique chose important désormais : sauver Gendun et Lokesh. En définitive, contrairement à ce qui leur était apparu de prime abord, le village de Drango n'avait rien d'une enclave rustique se servant de traditions d'un monde ancien pour se préserver du monde moderne. C'était un lieu étrange et grisâtre qui avait trouvé le moyen de combiner le pire des deux mondes.
Quand tu te trouves dans le monde extérieur, imprimes-en de petits fragments colorés dans ta mémoire pour les jours gris et sombres à venir.
- Ce qui est drôle, c'est que deux jours après mon retour à la maison, l'heure de ma femme est arrivé.
Shan le fixa d'un oeil incrédule.
- Je suis...
Je suis quoi ? pensa-t-il. Désespéré ? Furieux ? Paralysé par l'impuissance face à ce qui était arrivé ?
- Je suis désolé, dit-il.
Lokesh haussa les épaules.
- Un prêtre m'a dit que quand une âme est mûre, elle se contente de tomber de l'arbre, comme une pomme. J'ai pu être à ses cotés quand son heure est venue. Grâce à toi.
"Au Tibet, il est des sons comme en nul autre endroit à la surface de cette terre. Sans raison apparente, des geignements désincarnés, des grondements de tonnerre dévalent les flancs des pics enneigés ou roulent dans les vallées sous des ciels pourtant sans nuages. Et dans les déserts d'altitude, les nuits de lune, Shan Tao Yun avait entendu de minuscules tintements flotter jusqu'aux montagnes tel un message des étoiles." (10/18 - p.11)
Le marché était un fouillis d’étals enchevêtrés et de vendeurs à la sauvette devant leur couverture disposée à même la terre battue. Shan ouvrit grands les yeux pour mieux absorber tout ce qui se présentait dans son champ de vision. devant lui, il y avait plus de vie qu’il n’en avait vu en trois ans. Une femme proposait du fil en poil de yack, une autre déclamait les prix de pots de beurre de chèvre. Il tendit la main et toucha le dessus d’un panier plein d’œufs. Il n’avait pas mangé d’œufs depuis son départ de Pékin. Il aurait pu rester là des heures, simplement à les contempler. Le miracle des œufs. Un vieil homme s’affairait à disposer avec raffinement un ensemble de torma, les effigies à base de pâte et de beurre utilisées comme offrande. Des enfants. Le regard de Shan s’arrêta sur un groupe d’enfants en train de jouer avec un agneau. Il lutta contre l’envie violente d’avancer et d’en toucher un, pour se prouver qu’il existait encore une telle jeunesse, une telle innocence.
"Au Tibet, tout commence par le vent. C'est le vent qui fait aux cieux l'offrande des drapeaux de prières, le vent qui apporte à la terre le froid, la chaleur et l'eau source de vie, le vent qui fait se mouvoir les montagnes lorsqu'il envoie les nuages dévaler les pics et les crêtes. [...] c'est au Tibet que l'âme humaine avait, pour la toute première fois, pris conscience d'elle-même, parce que dans ce pays le vent ne cesse jamais de pousser contre ses habitants et qu'une âme ne se définit bien qu'en bataillant pour pousser le monde en retour." (10/18 - p.11)
- Dans les casernements de la prison, j'ai eu un professeur qui disait que, pour apprendre vraiment, il fallait tourner le dos à son savoir pour le laisser derrière soi. Et pour connaitre le monde, il fallait s'immerger dans ce qui n'était pas son savoir.
.... J'ai lu un livre sur le sujet, intervint Corbett avec malice. On appelle ça l'esprit du débutant.
Plus forts les attachements
Plus élevé le prix à payer
Plus grands les amassements
Plus profonde la perte
[...] lorsque j'entame un long voyage, mon esprit est souvent rongé par le doute quant à la destination et à ce qui se passera après le millième pas, ou le dix millième. Alors j'essaie de ne me préoccuper que du pas suivant, et ensuite du suivant, de sorte que, finalement, le dix millième ne soit qu'un pas de plus.